Chronique ONU
À voix haute
Les obligations des organisations intergouverne-
mentales dans le domaine des droits de l'homme
Par George Kent

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L'article
Nombre d'observateurs s'accordent pour dire, par différents arguments, que les organisations intergouvernementales, telles que les organismes du système des Nations Unies, sont soumises au droit international relatif aux droits de l'homme et donc à même de violer ces droits. Si nous acceptons ce principe, nous devons mettre en place un mécanisme pour donner l'alarme et prendre les mesures qui s'imposent lorsque ces organisations violent les droits de l'homme ou sont soupçonnées de les violer. Mon propos ici n'est pas de dénoncer les agissements de ces institutions mais de montrer qu'aucun mécanisme institutionnel efficace n'est mis en place pour corriger la situation.

Les exemples d'actions fautives de la part des organisations internationales, telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation mondiale du commerce, ne manquent pas. Les organisations non gouvernementales ne sont pas les seules à sonner l'alarme, il arrive parfois que les organisations internationales le fassent. Par exemple, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU a reconnu que les sanctions imposées par le Conseil de sécurité peuvent violer le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Si l'incidence des sanctions varie selon les cas, le Comité se rend compte qu'elles ont presque toujours de graves répercussions sur l'exercice des droits reconnus par le Pacte. Bien souvent, elles perturbent considérablement la distribution de vivres, de médicaments et d'articles d'hygiène; elles compromettent la qualité des produits alimentaires et l'approvisionnement en eau potable; elles entravent sérieusement le fonctionnement des systèmes de santé et d'éducation de base et elles portent atteinte au droit au travail.

Elles peuvent, en outre, avoir des effets non intentionnels, comme la consolidation du pouvoir d'élites exerçant une oppression, l'apparition, dans presque tous les cas, d'un marché noir procurant d'énormes bénéfices aux privilégiés qui l'organisent, le renforcement du contrôle des élites dirigeantes sur l'ensemble de la population et la restriction des possibilités de demande d'asile ou d'expression d'une opposition politique. Bien qu'essentiellement de nature politique, les phénomènes précités ont, eux aussi, une grande incidence sur l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels1.

Les organismes des Nations Unies, tels que le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), l'Organisation mondiale de la santé et le Haut Commissariat pour les réfugiés, subissent eux aussi leur lot de critiques. Par exemple, l'UNICEF. Mon propos n'est pas de savoir si ces accusations de violations des droits de l'homme sont vraies ou non mais de souligner l'absence d'un mécanisme interinstitutionnel pour les examiner.

Certaines institutions intergouvernementales agissent comme si elles étaient des organismes entièrement autonomes, souverains, n'ayant des comptes à rendre à personne. Certes, elles sont dotées de conseils d'administration auxquels elles rendent des comptes, mais souvent ceux-ci dirigent les actions qui doivent être corrigées et ne sont pas des agents indépendants hors de ces organismes auxquelles elles rendraient des comptes.

« L'impunité peut être considérée comme l'absence ou l'insuffisance de peines prévues pour les violations graves et massives des droits humains de la personne ou de groupes de personnes ou d'indemnisations des victimes2 ». Dans une certaine mesure, les manifestations organisées lors des réunions de la Banque mondiale et du FMI peuvent être perçues comme une protestation contre l'impunité avec laquelle les deux institutions opèrent. Certains se demandent si les institutions peuvent avoir des responsabilités morales ou si le droit relatif droits de l'homme peut s'appliquer aux entreprises ou aux agences gouvernementales.

Le Conseil général du FMI considère que le Pacte international - un traité entre les États contenant des obligations qu'ils doivent respecter - ne s'applique pas au FMI. Ni ses clauses ni celles de l'accord de relation du Fonds avec les Nations Unies ne permettent de conclure que le Pacte est applicable au Fonds. En outre, les normes contenues dans le Pacte n'ont pas acquis un statut en vertu du droit international qui les rendraient applicables au FMI indépendamment du Pacte3.

La plupart des institutions de l'ONU ont adopté une démarche fondée sur les droits de l'homme, au moins dans leur rhétorique, principalement parce que le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, leur a demandé de le faire dans le plan-cadre des Nations Unies pour l'aide au développement lancé en 1997. Cependant, alors qu'elles font l'éloge des droits de l'homme et affirment ouvrer résolument à leur réalisation, elles ne reconnaissent pas qu'elles ont, elles aussi, des obligations en la matière. Les obligations, semble-t-il, s'appliquent aux autres.

Comme le fait observer Sigrun Skogly, « bien que désireuse de prendre part à un dialogue sur les droits de l'homme, la Banque [mondiale] n'a jamais accepté aucune obligation dans ce domaine4. » En 2002, la Banque était félicitée pour avoir pris l'engagement public de redoubler d'efforts pour aider ses gouvernements clients à remplir leurs obligations en matière de droits de l'homme. Ce n'est cependant pas la même chose que de reconnaître qu'elle a des obligations en matière de droits de l'homme et qu'il lui incombe de les satisfaire de manière systématique. Les institutions reconnaissent qu'elles ont l'obligation de ne pas faire du tort à autrui, mais ne semblent pas reconnaître qu'elles doivent mener une action positive.

Les droits de l'homme sont internationaux dans le sens où, étant universels, ils s'appliquent à tous. Toutefois, le droit international relatif aux droits de l'homme se réfère principalement aux obligations des États envers les peuples au sein de leur juridiction et fait état d'obligations qui sont de nature « inter-nationales », mais sont principalement « intra-nationales ». Les obligations internationales s'appliquent lorsque les États ne parviennent pas à assurer la réalisation des droits de l'homme dans leur juridiction. Elles ne s'arrêtent pas aux frontières nationales.

Alors que la plupart des activités liées aux droits de l'homme sont centrées sur la réalisation de ces droits au sein des nations, il faut prêter une attention particulière aux relations entre les nations. Par exemple, alors que l'égalité des droits au sein des nations est un objectif intermédiaire raisonnable, l'objectif recherché est d'atteindre ce but partout dans le monde. Cela est clairement énoncé dans l'article 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme: « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et les libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet. »

Même s'il n'existe pas de gouvernement mondial en tant que tel, il existe, cependant, une gouvernance mondiale exercée par les nations du monde au travers d'activités internationales, avec le soutien des institutions internationales qui agissent en leur nom. Le droit relatif aux droits de l'homme peut être perçu comme un projet de norme de gouvernance reconnue par tous en matière de protection et de promotion de la dignité humaine. Pour illustrer ce point, je citerai la Déclaration universelle et le Pacte international qui « reconnaît le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille... » Les États et les gouvernements qui les représentent ont le devoir de prendre les mesures nécessaires pour assurer à toute personne un niveau de vie suffisant, ce qui veut dire toutes les personnes et pas seulement celles sous la juridiction d'un gouvernement national.

Le principe directeur devrait être que la communauté internationale doit, comme les États, souscrire aux obligations des droits de l'homme. Si une action particulière d'un gouvernement national est perçue comme une violation des droits de l'homme, une action similaire, par exemple, de la Banque mondiale, devrait donc être également perçue comme une violation de ces droits. Créées par les États nations et agissant en leur nom, les institutions gouvernementales internationales doivent donc souscrire aux mêmes obligations.

Régulièrement, certains demandent des comptes aux institutions, parfois en s'appuyant sur une analyse légale, mais aucun accord institutionnel n'existe pour le faire. Les États rendent compte régulièrement de leur performance en matière de droits de l'homme en vertu de traités majeurs qu'ils ont ratifiés en soumettant des rapports périodiques aux organes créés par traité des Nations Unies. Les institutions intergouvernementales ne ratifient pas directement les traités mais, en tant qu'agents des États qui sont parties à ces accords, on considère qu'elles sont néanmoins soumises au droit international des droits de l'homme.

Tant que d'autres accords institutionnels ne seront pas créés et mis en ouvre, les institutions intergouvernementales devraient être tenues de soumettre à la Commission des droits de l'homme de l'ONU des rapports périodiques sur leur performance en matière de droits de l'homme. Les pays qui sont membres des institutions intergouvernementales et aident à les financer doivent également partager la responsabilité des actions de ces institutions. Les organes créés par traité devraient donc inclure dans leurs débats avec les États parties sur les activités des droits de l'homme la performance de ces institutions.

L'idée selon laquelle la communauté internationale a des obligations spécifiques en matière de droits de l'homme n'est pas plus ambiguë que celle selon laquelle les États ont de telles obligations. La « communauté internationale, comme l'« État », est une construction sociale. Les gouvernements nationaux représentent les États et agissent en leur nom. De même, les organisations intergouvernementales représentent la collectivité des États - la communauté internationale - et agissent en leur nom. Elles souscrivent aussi à des obligations en vertu du droit international des droits de l'homme et devraient répondre des pratiques de ces droits.
Notes
1.Conseil économique et social de l'ONU, Comité des droits économiques, sociaux et culturels. La relation entre les sanctions économiques et le respect des droits économiques, sociaux et culturels; Haut Commissariat aux droits de l'homme; E/C.12/1997/8, commentaire général 8 CERS, 1997
2.Commission des droits de l'homme. Sous-commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités. La réalisation des droits économiques, sociaux et culturels : rapport final sur la question de l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme. E/CN.4/Sub.2/1997/8, 27 juin 1997.
3.Les Droits économiques, sociaux et culturels et le Fonds monétaire international : dossier de travail de François Gianviti, FMI, (E/C.12/2001/WP.5, 2001).
4.Skogly, Sigrun, "Inspecting the World Bank's Responsibilities", Hungry for What is Right, No. 18 (avril 2000), p. 405; The Human Rights Obligations of the World Bank and the IMF (London: Cavendish Publishing, 2001).
Biographie
George Kent est professeur de sciences politiques à l'université de Hawaï. Il travaille sur les droits de l'homme, les relations internationa-les, la paix, le développement et les questions environnementales, avec un intérêt particulier sur la nutrition et les enfants. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier est intitulé « Freedom from Want: The Human Right to Adequate Food » Il est coresponsable de la Commission des droits de l'homme internationaux de l'Association internationale de recherche sur la paix.
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