BELGIUM


INTERVENTION DE

S.E. M. LOUIS MICHEL

PRÉSIDENT DE L'UNION EUROPÉENNE

VICE PREMIER MINISTRE

ET

MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES DE LA BELGIQUE

DURBAN, LE lER SEPTEMBRE 2001

 

Madame la Présidente,

J'ai l'honneur de m'exprimer au nom de l'Union européenne. Les pays d'Europe centrale et orientale associés à l'Union européenne - Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie - et les pays associés Chypre, Malte et Turquie - se rallient à cette déclaration.

Avec tous ses partenaires dans le monde, l'Union européenne est venue à Durban pour proclamer solennellement le renouveau de l'alliance universelle contre le racisme, une alliance contre toute forme de rejet de l'autre, une alliance pour la dignité de chacun et pour la paix dans le monde.

Concevoir la réponse mondiale contre le racisme et offrir les engagements solennels justement en Afrique du Sud est certainement un symbole fort. Tant de citoyens du pays de Nelson Mandela ont en effet payé un tribut si lourd aux dérives racistes. Le refus de l'apartheid, la lutte courageuse menée par un petit groupe d'hommes et de femmes épris de liberté, imprégnés de la dignité de chaque être humain et rejoints par tout un peuple avec une mobilisation croissante de la communauté internationale font désormais partie du patrimoine de l'humanité.

Madame la Présidente, dire notre gratitude à l'adresse de votre pays et de la ville de Durban n'est pas seulement une expression de reconnaissance pour votre grande hospitalité. C'est aussi vous dire combien l'exemple de l'Afrique du Sud est important pour le monde car elle a eu le courage d'engager les générations du présent et du futur dans la voie de la réconciliation entre les victimes et ceux qui en sont les auteurs.

L'Union européenne est à vos côtés et aux côtés de ceux des membres du Comité général pour assurer le succès de la Conférence. En son nom, je voudrais aussi remercier tous les titulaires de postes de présidents pendant les Comités préparatoires pour leurs efforts visant à faciliter aujourd'hui notre travail et à progresser dans la voie du consensus. Permettez-moi aussi d'associer surtout à cet hommage la Secrétaire générale de notre Conférence, Madame Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme. Son inébranlable volonté d'aboutir, sa force de compréhension et de persuasion constituent le guide indispensable de nos travaux.

A l'aube de ce millénaire, la mobilisation des consciences qui est voulue par notre Conférence constitue une occasion privilégiée dans notre entreprise de progrès pour l'humanité. Nous voulons croire que le progrès humain est inscrit dans la nature humaine. Nous voulons croire que le bien et le bon vont finir par l'emporter.

La Conférence est à la fois évidente, complexe et nécessaire.

{L'ALLIANCE UNIVERSELLE CONTRE LE RACISME}

Elle est évidente dans son objectif : lutter contre toutes les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance qui y est associée. Notre message doit être fort : le racisme et la discrimination raciale représentent des violations graves des droits de l'homme et constituent une menace pour les sociétés démocratiques et les valeurs fondamentales. Ils sont souvent à l'origine de conflits, et doivent être combattus par tous les moyens légaux et démocratiques.

La Convention internationale sur l'Élimination de toutes les Formes de Discrimination raciale constitue la base universelle de cette détermination.

Les résultats de la Conférence doivent donc être axés fondamentalement sur un plan d'action concret visant le présent et l'avenir et résultant d'une écoute mutuelle afin de mieux mettre en oeuvre des mesures précises de lutte contre les discriminations.

Face à cet objectif fondamental, l'expression d'un consensus devrait également être évidente. Les fléaux dont traite la Conférence sont des phénomènes globaux qui n'épargnent aucun continent, aucune région, aucun pays. Personne n'est à l'abri d'un regard haineux, de comportements hostiles ou menaçants, de violences morales ou corporelles. Chaque jour des êtres humains souffrent et s'effondrent, victimes innocentes de ces fléaux rampants. Chaque jour on brise des consciences, on blesse des esprits, on attente à l'intégrité d'hommes et de femmes. La lutte contre ces fléaux doit donc naturellement nous unir tous, nous rassembler, nous mobiliser pour dire non à la fatalité. Le racisme est un redoutable chasseur qui peut fondre à tout moment sur sa proie. A nous de prouver que nous sommes capables, par notre action et par notre mobilisation collectives, de renverser les rôles. Que le chasseur devienne le chassé afin qu'il se terre et disparaisse.

{PLUS JAMAIS !}

La Conférence est toutefois également complexe ainsi que l'ont démontré les travaux préparatoires. Elle touche en effet aux éléments vitaux des êtres humains qui ont droit à la vie dans le respect de leur dignité et de celle des autres, qui ont soif d'être considérés de façon non discriminatoire dans leur diversité de culture, d'origine - nationale et ethnique -, de religion et de convictions et qui aspirent à l'égalité des chances pour l'accès aux biens et aux services. Il ne faut donc pas s'étonner que, face à ces cris et appels pour un plus grand bonheur et un meilleur bien-être, cette Conférence, qui est aussi une "caisse de résonance" des souffrances vécues, des martyrs subis et des oppressions imposées, soit chargée d'émotions légitimes multiples.

Ces émotions ont trait à la fois à la mémoire du passé, à des analyses différenciées sur les causes profondes du racisme et à un sentiment d'amertume et de révolte face aux tragédies qui ont ensanglanté et ensanglantent encore diverses régions du globe. Notre tâche collective aura été de nous écouter mutuellement pour mieux nous comprendre et d'échanger nos expériences pour en tirer les enseignements. Le retour sur le passé, avec les pratiques odieuses et déshonorantes de la traite et de l'esclavage, et avec le rappel des souffrances immenses causées à l'époque du colonialisme a été un point de passage salutaire. Nous reconnaissons que les pratiques de l'esclavage et de la traite des esclaves ont contribué à l'existence des formes contemporaines de racisme et de discrimination raciale. Elles ont aussi contribué à la pauvreté, au sous-développement, à la marginalisation, à l'exclusion sociale, aux disparités économiques, à l'instabilité et à l'insécurité qui affectent de nombreuses personnes dans le monde.

Ignorer le passé reviendrait à se priver de l'impérieuse nécessité d'affirmer avec force que de telles pratiques sont intolérables et ne doivent jamais réapparaître.
Souvenons-nous de toutes les souffrances infligées par des faits intervenus à différents moments de l'Histoire.
Inclinons-nous respectueusement devant toutes les victimes. Ne les oublions jamais. Engageons-nous à ce que ces méfaits ne soient plus jamais répétés.

PLUS JAMAIS ! NEVER AGAIN !

En jetant les bases du "devoir de mémoire" et de la transmission de la connaissance des souffrances passées - le "devoir de connaissance" -, la Conférence redonne une identité à toutes les victimes anonymes des pratiques du passé. Cette identité retrouvée doit être un aiguillon constant pour nous inciter à accroître nos efforts collectifs pour construire le futur.

La Conférence est enfin nécessaire. L'hydre du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée renaît constamment, se diversifie dans ses méthodes et dans ses techniques, y compris avec l'utilisation perverse des nouvelles technologies et se renouvelle en s'appuyant sur des idéologies et des prétextes aussi répugnants que dans le passé. Il est grand temps de renforcer et de développer notre action à tous les niveaux : local, national, régional et mondial. Le devoir de vigilance permanente, de prévention par l'éducation et la formation, de protection des groupes les plus touchés et les plus vulnérables et d'intégration de l'égalité des sexes dans les politiques s'impose plus que jamais.

Cela doit se traduire par un renforcement du cadre légal et responsable de son application effective et par une interaction dynamique entre gouvernements - gardiens de l'intérêt général -, organisations non gouvernementales et autres acteurs de la société civile.

{LA MAIN TENDUE}

L'Union européenne est déterminée à mettre tout en oeuvre pour assurer le succès de cette Conférence. Celui-ci sera mesuré par son impact réel sur la vie quotidienne. Nos messages doivent être forts et clairs, appuyés par des mesures visibles et pratiques dans le cadre d'un plan d'action qui soit vraiment opérationnel.

Les Ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont défini le 16 juillet dernier nos objectifs et nos attentes pour le présent et pour l'avenir ainsi que nos réponses aux préoccupations du passé. Les conclusions du Conseil de l'Union sont publiques et elles ont été diffusées au sein de cette Conférence. Je n'y reviendrai donc pas. Sur la base de ce cadre de référence, l'Union européenne a formulé des propositions qui sont l'expression d'une main tendue à tous les participants pour parvenir ensemble à des décisions et à des orientations concrètes et pour développer un partenariat solidaire entre tous.

Mais je me permettrai seulement de faire quelques remarques, sur la base de l'expérience européenne, région que je connais le mieux !

L'Histoire nous donne tout d'abord une leçon d'humilité. Au cours des siècles, l'histoire européenne a été, comme dans d'autres régions du monde, fortement contrastée. Le meilleur a côtoyé le pire. L'Europe aura été tout à tour conquérante et soumise, dominatrice et martyrisée, fraternelle et fratricide, porteuse d'idées généreuses mais aussi véhiculaires de conceptions abjectes, expansionniste et repliée sur elle-même, égocentrique et altruiste,
créatrice de progrès immenses mais aussi de destructions épouvantables. Elle aura été visionnaire en développant les libertés fondamentales et en créant des Etats modernes de droit. Mais elle aura été aussi le théâtre d'idéologies en totale opposition avec les valeurs fondamentales de l'Humanité. Elle aura connu l'horreur absolue avec la tragédie unique de l'Holocauste où de façon planifiée, méthodique et quasi scientifique des millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont été exterminés.

Ce passé avec ses ombres et ses lumières, fait partie de la "conscience collective" de l'Union européenne qui a cherché à consolider les aspects positifs de son patrimoine et à tirer les enseignements de ce qu'il ne faillait plus faire.

{CETTE EUROPE, C'EST LA PAIX}

Je souhaiterais mettre en exergue trois éléments qui présentent un intérêt pour notre Conférence.

Premièrement, la construction européenne a d'abord été fondée sur la réconciliation des Etats qui s'étaient entre-déchirés. L'exercice progressif de la souveraineté partagée, librement consentie entre les Membres de l'Union est un témoignage éclatant d'une réconciliation réussie, conduisant à la création d'une zone de paix, de stabilité et de solidarité politique, économique, sociale et humaine. Avec les pays associés, candidats à l'Union européenne, c'est l'unité retrouvée.

Cette Europe, c'est la paix. D'autres expériences ont été engagées dans diverses régions du monde selon une démarche similaire. L'Union européenne ne peut que s'en féliciter, car la réconciliation est un instrument fondamental de lutte contre le racisme et la xénophobie.

Deuxièmement, l'Union européenne est fondée sur des principes, communs à ses membres, de liberté, de démocratie, de respect des Droits de l'Homme et de ses libertés fondamentales et de l'État de droit. La proclamation de la Charte des Droits fondamentaux au Conseil européen de Nice a constitué une avancée additionnelle. Ces fondements donnent des garanties aux citoyens se trouvant sur le territoire de l'Union. Tout un arsenal législatif est en place. L'éducation, la formation, la prévention, le développement de l'information et une plus grande sensibilisation aux phénomènes racistes et d'exclusion sont aussi au cœur des politiques de l'Union et de chacun de ses membres. Je tiens ici à souligner la contribution importante de la Commission européenne dont la représentante se fera l'écho à cette tribune.

Bien entendu, l'Union européenne est loin d'être à l'abri de faiblesses et de déficiences en matière de comportement d'individus ou de groupes d'individus. Ces comportements sont inadmissibles et condamnables et rendent encore plus nécessaire une vigilance sans faiblesse pour les prévenir ou pour les réprimer. La Conférence de Durban est là pour nous rappeler à tous nos devoirs et pour stimuler une action toujours plus efficace de lutte contre le racisme, partout dans le monde, y inclus en Europe.

Troisièmement, l'Union européenne a depuis longtemps ouvert un nouveau chapitre dans ses relations extérieures en tissant des accords de partenariat et donc de co-développement aussi bien en Afrique, en Amérique latine et en Asie que sur le pourtour méditerranéen. Sa politique de coopération au développement, de caractère multidisciplinaire, a comme axe central le développement durable afin d'éradiquer la pauvreté. Cette politique couplée avec le développement de la politique étrangère commune et de sécurité, notamment en matière de gestion et de prévention des conflits, contribue à sa manière à réduire les inégalités et à prévenir les crises, sources et conséquences de racisme, de discrimination raciale et de xénophobie.

C'est également dans cette perspective que l'Union européenne appuie la Nouvelle Initiative pour l'Afrique, décidée par le Sommet des Chefs d'Etats africains de Lusaka.

D'autres pays et le système des Nations Unies sont également des acteurs clés dans le développement de tels partenariats. Il serait toutefois indécent de faire preuve d'une béate autosatisfaction. Les tragédies récentes, aux portes de l'Union européenne et dans d'autres régions du monde, continuent à nous interpeller afin d'agir mieux et plus vite pour éviter de nouveaux foyers de haine et de discrimination raciale. La longue tragédie qui perdure au Moyen Orient est une préoccupation majeure. Il s'agit là avant tout d'un conflit territorial, d'un conflit de deux souffrances avec de trop nombreuses victimes innocentes de part et d'autre. La population israélienne n'est pas épargnée et la population palestinienne paie un tribut encore plus lourd. Les positions des parties en cause et l'œuvre de paix, notamment de l'Union européenne, sont bien connues mais cette Conférence n'est pas le lieu pour en débattre. Chacun sait que les efforts pour mettre fin aux violences et pour relancer le processus de paix se déroulent d'autre part. Ici à Durban, notre tâche est d'abord de réaffirmer avec force que les incitations à la haine ainsi que tous actes de racisme et de discrimination raciale commis par des individus et des groupes d'individus sont injustifiables et condamnables, quel que soit le lieu où ils se produisent.

Madame la Présidente,

Les travaux préparatoires de la Conférence ont été intenses et difficiles. Ils ont permis de mieux se comprendre, de bénéficier des expériences des uns et des autres, de clarifier les concepts, d'identifier les préoccupations et les limites de chacun.

Cette étape est maintenant dépassée. Voici venu le temps de trancher et de décider dans un esprit de coopération et de volonté farouche d'aboutir.
En tant que responsables politiques, il nous faut savoir aller à l'essentiel car l'Histoire et nos opinions publiques ne comprendraient pas que nous ne saisissions pas l'opportunité unique offerte par cette Conférence de contribuer à façonner la nouvelle Humanité du XXIème siècle. Pour une si noble cause, ayons le courage de réussir pour le bénéfice des générations actuelles et futures.