13 avril 2020 — Face à la vague de coronavirus qui déferle sur l’Afrique, les Nations Unies en appellent à la solidarité mondiale, tout en encourageant les pays à s’appuyer sur l’expérience acquise lors de la crise Ebola pour bâtir leur riposte. Le nouveau cas de fièvre hémorragique détecté en République démocratique du Congo vient toutefois rappeler la difficulté de la tâche sur un continent confronté à l’éternelle répétition des épidémies.

« Après 52 jours sans aucun cas, les équipes de surveillance et de réponse sur le terrain ont confirmé un nouveau cas », a annoncé vendredi sur Twitter le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale la Santé (OMS), indiquant avoir convoqué une réunion du Comité d’urgence sur l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo (RDC).

Déjà frappée par une flambée de rougeole et désormais atteinte par la COVID-19, avec plus de 223 cas comptabilisés par l’OMS, la RDC pensait pouvoir tourner la page de sa dixième épidémie d’Ebola ce 13 avril. Un espoir ruiné par la mort d’un homme à Beni, dans le Nord-Kivu, l’un des épicentres de cette maladie qui tué plus de 2 270 personnes depuis sa réapparition à l’été 2018 dans l’est du pays.

Maintenir l’effort jusqu’à son terme

Ce nouveau cas entraîne la reprise d’un compte-à-rebours de 42 jours en RDC. L’OMS considère en effet qu’il faut l’équivalent de deux fois la période d’incubation de 21 jours sans nouveau cas pour estimer éteinte l’épidémie d’Ebola. Avant vendredi, le dernier cas confirmé dans le pays était celui d’une femme sortie le 3 mars d’un centre de traitement après avoir été testée négative à deux reprises.

A la mi-mars, le Dr Ibrahima Socé Fall, Directeur adjoint de l’OMS, n’avait pas caché que le risque existait d’une résurgence d’Ebola « du fait des niches écologiques favorables au réservoir du virus ». Si plus de 1 160 personnes ont guéri en RDC, « le virus peut rester dans le corps de certains guéris pendant plus d’un an », avertissait-il, appelant à la vigilance « pour pouvoir réagir à toute nouvelle flambée ».

L’agence sanitaire de l’ONU veut néanmoins voir dans cette rechute de l’épidémie une leçon pour mieux appréhender la pandémie de COVID-19.  « Il n’y a pas de stratégie de sortie jusqu’à ce que l’on contrôle la situation », a fait valoir Michael Ryan, Directeur exécutif en charge du programme de gestion des situations d’urgence sanitaire. « On doit toujours être prêt à faire marche arrière et à repartir ».

Une mise en garde reprise samedi par le Directeur général de l’OMS, selon lequel une levée « trop rapide » des restrictions liées à la propagation du coronavirus « pourrait entraîner une résurgence mortelle ».

Obtenir l’engagement communautaire

Dans les pays touchés par Ebola, de la RDC au Nigéria en passant par le Libéria et la Sierra Leone, la participation des communautés aux efforts de lutte contre le virus s’est révélée déterminante. Il a fallu gagner leur adhésion à des mesures de précaution et de protection qui sont aujourd’hui essentielles pour faire face à la COVID-19. Le respect des « gestes barrière » est une clé de la riposte.

« La leçon importante que nous avons tirée de l'épidémie d'Ebola, et qui est appliquée maintenant, est de savoir comment commencer à travailler tôt au niveau communautaire », expliquait récemment le Dr Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Un effort fondamental, selon elle, « en termes de surveillance et de reconnaissance des schémas de la maladie ».

« Nous avons fortement impliqué les gens, en travaillant par l'intermédiaire de groupes communautaires pour diffuser des informations sur les caractéristiques de la maladie à coronavirus et sur la manière de se protéger », a-t-elle détaillé. « Nous avons également appris qu'il est important non seulement de dire des choses aux gens, mais aussi de les écouter et d'intégrer ces informations dans nos stratégies ».

Comme pour les autres épidémies qui sévissent en Afrique, l’OMS s’est employée à réfuter les rumeurs courant sur la COVID-19, aidée par les autorités nationales, les chefs religieux, d’autres agences comme le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et des organisations de la société civile. « Il y a une énorme quantité d'informations - dont certaines sont incorrectes - qui circulent sur ce coronavirus, et nous avons appris de l'expérience Ebola », a assuré le Dr Moeti.

S’appuyer sur la préparation des systèmes de santé

Vue aérienne d'un centre de traitement Ebola dans la ville de Beni, au Nord-Kiv (RDC).

De nombreux pays africains utilisent à présent les plans de préparation aux épidémies d’Ebola et de grippe pour intensifier leur réponse à la COVID-19.  Compte tenu de la fragilité de leurs systèmes de santé, ils s’appuient sur les compétences de personnels préparés à la lutte contre les maladies infectieuses et sur des dispositifs de surveillance sentinelle déjà en place.

C’est notamment le cas de la Tanzanie, qui, dès la reprise de l’épidémie d'Ebola en RDC en 2018, a formé 2 400 professionnels de santé aux moyens de riposte. Plus de 300 d’entre eux ont été réaffectés à la lutte contre la COVID-19 dans le pays, où l’OMS ne recense pour l’heure qu’une trentaine de cas déclarés de cette maladie et trois décès.

Des structures telles que les unités d'isolement créées dans les établissements de santé de district sont maintenant transformées en unités de COVID-19. Dans chacune des 26 régions du pays, le gouvernement a établi un centre de référence dont le personnel a été formé aux soins avancés pour Ebola, y compris les soins intensifs.

Sur place, l’antenne locale de l’OMS travaille avec les ministères de la santé de Tanzanie et de Zanzibar au renforcement des capacités du personnel sanitaire en matière de prévention, de soins cliniques et de tests de laboratoire. Autant de domaines communs aux épidémies, sur lesquels l’agence met également l’accent au niveau continental, en particulier par le biais de formations spécifiques destinées aux personnels de première ligne.

Le 1er avril, l’OMS a organisé une session en ligne consacrée à la prise en charge des cas de COVID-19. Près de 500 participants à travers toute l'Afrique se sont connectés pour s’informer sur des questions telles que la caractérisation et le triage des cas, le traitement des personnes gravement malades, le contrôle des infections et la manière de mettre des patients en quarantaine.

Assurer la continuité des approvisionnements

Pour contenir l’avancée de la COVID-19, les pays africains s’emploient à limiter les rassemblements et la circulation des personnes. Un confinement national est en vigueur en Afrique du Sud, au Kenya, en Ouganda ou encore en République du Congo. Dans d’autres pays comme la RDC, le Nigéria ou le Libéria, encore traumatisés par Ebola, cette mesure drastique est prise dans les grands centres urbains.

Au-delà des difficultés de mise en œuvre dans des communautés où la distanciation sociale est souvent inapplicable, les gouvernements doivent s’assurer que les populations peuvent continuer à accéder aux services essentiels. Ils doivent aussi veiller à la sécurité alimentaire, mise à mal par la perturbation des chaînes d’approvisionnement.

« Il est crucial que les ports continuent de fonctionner pour recevoir de la nourriture et d'autres cargaisons humanitaires essentielles ; que les frontières et les routes restent ouvertes afin que ces vivres parviennent là où elles sont le plus nécessaires ; et que les distributions aux personnes vulnérables soient effectuées en toute sécurité », a insisté Lola Castro, Directrice régionale du Programme alimentaire mondiale (PAM) pour l’Afrique australe, lors d’une conférence de presse virtuelle organisée le 2 avril par l’OMS, avec le soutien du Forum économique mondiale (WEF).

Pour le PAM, l’expérience du dispositif Ebola est riche en enseignements pour gérer la crise actuelle. L’agence onusienne a ainsi rappelé que sa réponse avait pris des formes diverses, transposables dans le contexte de la COVID-19, en particulier l’introduction de nouveaux modes de transfert d’espèces dans les zones à fort risque de contamination, le renforcement des circuits d’approvisionnement et la mise en place d’un réseau de centres de réception et de stockage.

Tout au long de la crise d’Ebola, le PAM a aussi développé des solutions de transport de fret, à l’instar des vols cargo longue distance lancés avec le Service aérien d’aide humanitaire des Nations Unies (UNHAS) afin d’augmenter les capacités d’intervention. Il a en outre fait bénéficier la communauté humanitaire d’une plateforme de services communs. Au total, 77 organisations en ont fait usage de cet outil destiné à mutualiser les frais et à accroître l’efficacité des opérations.

« Les urgences complexes sont rarement semblables et nécessitent souvent des approches différentes », reconnaît le PAM dans une note technique. Il n’en juge pas moins que sa réponse à la crise d’Ebola constitue une référence utile. Elle a en effet permis d’activer « tous les éléments nécessaires à la réalisation efficace des objectifs », qu’il s’agisse de la fourniture d’aide alimentaire, du bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, de la mise à disposition d’entrepôts humanitaires et de la collaboration avec les gouvernements et les organisations partenaires.