Chronique ONU
L'aide aux personnes dans la détresse
ATD Quart Monde au centre du volontariat
Par Anna Fagergren et Vicki Soanes

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L'article
« Ensemble, conscients que nous sommes tous des êtres humains, nous pouvons ouvrer au bien-être de l'humanité en nous respectant les uns les autres », dit d'un air pensif un jeune tanzanien d'une communauté de familles très pauvres qui vivent à Dar es-Salaam dans des bateaux abandonnés. Ne pouvant joindre cette communauté qu'à marée basse et leur existence n'étant connue que par ceux qui vivent près du port local, il a fallu un certain effort pour trouver ce jeune homme et entendre son message. Mais de son isolement physique et social, il a pu transmettre le message des plus exclus pour assurer que toute personne a accès aux droits de l'homme et peut les exercer.

Malgré la marginalisation et l'isolement de ces familles, un volontaire d'ATD Quart Monde a réussi à établir une relation avec elles. Au cours de plusieurs visites, il s'est rendu compte que les familles vivaient isolées de la société, sans accès aux services sociaux de base tels que les soins de santé et l'éducation. La relation qu'il a établie avec ce jeune Tanzanien et d'autres jeunes lui ont permis de voir que les plus pauvres ont la volonté et la capacité à se mobiliser autour de projets qui améliorent la vie de leur communauté et de celles du monde entier. Par exemple, des jeunes très pauvres qui travaillaient dans un marché aux poissons à Dar es-Salaam se sont rendus à l'école primaire Mwereni de Moshi pour participer à la rénovation d'une école pour enfants aveugles. Pour certains, c'était leur première rencontre avec le monde de l'éducation. Cette expérience a porté ses fruits car des années plus tard un jeune est retourné pour enseigner dans cette école. « Malgré la situation difficile où nous sommes, nous y sommes allés parce que nous voulions les aider [les enfants aveugles] à se sentir forts... à trouver la force de faire face aux difficultés qu'ils rencontrent. Nous n'avons peut-être pas d'emploi ou de lieu où dormir, mais nous avons offert notre aide », commente un autre jeune.
Dar es-Salaam : Des pluies abondantes causent souvent des inondations dans les régions côtières de la République unie de Tanzanie. Photo/Horst Rutsch
Pourtant, malgré les rôles et les devoirs que les populations très pauvres assument dans la communauté, leur pauvreté les maintient dans l'isolement. La pauvreté extrême est caractérisée par une accumulation d'insécurités qui se renforcent et qui tendent à s'intensifier. Un homme qui vivait dans l'un des bateaux a expliqué comment le manque de soins de santé adéquats, le manque d'emploi et l'incompréhension du monde extérieur contribuaient à rendre sa vie difficile. « Je travaillais toute la journée pour ne recevoir qu'un seul repas en échange », dit-il, se référant au mois où il a souffert d'accès de fièvre répétés. « Certains pensent que nous sommes satisfaits de vivre ainsi. Est-ce qu'ils savent seulement que notre rêve c'est de vivre dans une vraie maison ? » Les espoirs et les insécurités qu'il décrit ne sont pas propres à la République unie de Tanzanie; ils existent dans le monde entier, tant dans les pays développés que dans les pays en développement.

Heureusement, les membres de la communauté internationale commencent à réaliser que les personnes qui vivent dans la pauvreté aspirent à sortir de leurs conditions d'insécurité et que l'extrême pauvreté qui continue de s'étendre dans tous les pays prouve que les efforts déployés pour assurer l'accès de tous aux droits universels sont loin d'être suffisants. Selon la Déclaration universelle des droits de l'homme, ces droits ne comprennent pas seulement le droit de chacun à l'alimentation, à l'habillement, au logement, aux soins médicaux et aux services sociaux nécessaires tels que l'éducation, pour assurer la santé et son bien-être et ceux de sa famille, mais aussi le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. L'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible.
Photo/Horst Rutsch
Afin de soutenir ses droits, la premier Objectif du Millénaire pour le développement des Nations Unies (OMD) vise à réduire de moitié d'ici à 2015 le nombre de personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour. Pour réaliser cet engagement, les gouvernements et l'ONU doivent prendre des mesures pour mettre en ouvre des projets de développement avec la participation des plus pauvres. Dans une présentation récente devant le Conseil économique et social de l'ONU au siège de l'ONU, à New York, Jeffrey Sachs, directeur du Projet du Millénaire, a déclaré que la réalisation des OMD est « une question de partenariat, pas de moralité ». Il a, en outre, souligné que nous devrions « moins rejeter la faute sur les pauvres [et] travailler davantage avec eux pour répondre à leurs besoins spécifiques et ciblés ». Il est clair que ce n'est qu'en incluant les plus pauvres dans les projets de développement, dès le début, qu'ils pourront réellement apporter des changements positifs dans leur vie, et cela concerne même les 50 % qui, selon l'ONU, n'arriveront probablement pas à sortir de la misère d'ici à 2015.

Les familles qui font face à de graves difficultés ont l'espoir d'une vie meilleure et devraient pouvoir élever leurs enfants dans de bonnes conditions. De tels espoirs se sont réalisés à San Jacinto, un district rural situé dans l'est du Guatemala, où les décès dus à la pauvreté ont augmenté le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans à 140 pour 1 000, principalement à cause des maladies et de la malnutrition. Lorsque les volontaires d'ATD Quart Monde sont arrivés à San Jacinto à la fin des années 1970, ils ont cherché à comprendre pourquoi les familles n'arrivaient pas à sortir des conditions qui représentaient une menace pour leurs enfants, et pourquoi elles ne recevaient pas d'aide. Dans les projets centrés sur les enfants, il est crucial de trouver les moyens de soutenir plutôt que de supplanter les efforts des parents. C'est pourquoi les volontaires ont passé les premières années à établir des relations avec les familles très pauvres, les organisations de santé de la région, dont Alianza, une organisation non gouvernementale (ONG) chargée des vaccinations, les sages-femmes, les membres de la communauté formés pour promouvoir la santé ainsi qu'avec un technicien de l'hygiène travaillant dans un poste sanitaire. En discutant avec d'autres groupes, en partageant les activités quotidiennes des plus pauvres et en notant leurs observations, les volontaires ont recueilli d'importantes informations sur ce qui empêchait les familles de bénéficier des services dans leur communauté et au-delà. Les obstacles comprenaient le manque d'argent pour l'achat de médicaments, le manque de soins pour les enfants, l'incapacité à gérer les ressources vitales, le sentiment de honte causé par leur apparence ainsi que la mort de leurs enfants malgré les soins médicaux. Étant donné que ces questions survenaient non seulement simultanément mais étaient cruciales pour la survie de la famille, il s'est révélé extrêmement difficile d'en choisir une plutôt qu'une autre. Pour aggraver la situation, le manque d'expérience de la plupart des professionnels de la santé donnait souvent lieu à des incompréhensions avec leurs patients et créait des tensions.
Photo UNICEF
Si les volontaires n'avaient pas pris le temps de connaître les familles, ils auraient mis sur pied un projet qui n'aurait ni répondu aux besoins de la communauté ni pris en compte leur sensibilité. Mais grâce aux relations établies en partageant des activités, telles que faire de la confiture de mangues ou lire ensemble et discuter librement en respectant les opinions de l'autre, ils ont compris qu'un projet centré sur la malnutrition des enfants se solderait pas un échec et susciterait un sentiment de honte et d'impuissance tel que les parents ne voudraient pas y prendre part. Les parents, spécialement les plus pauvres, aspirent au bonheur de leurs enfants. Comme le dit Doña Matilda, un membre de la communauté de San Jacinto : « Mes enfants ont une mère. Je ne possède pas grandchose mais je peux leur donner de la tendresse. Où est-ce que je trouve la force de continuer ? Dans mes enfants... Qui se battra pour eux si je ne le fais pas ? » Donc pour répondre à la demande des parents de soutenir tous les aspects du développement de leurs enfants, ATD Quart Monde a construit une école maternelle, un projet fondé sur l'espoir et non sur l'impuissance.

Au bout du compte, les volontaires qui travaillaient dans l'école ont, avec les parents, suivi les progrès des enfants, à la fois dans le développement de la santé et de leur esprit créatif, et les parents ont trouvé les moyens de construire des relations entre eux et avec la communauté élargie. Ils ont participé à des ateliers sur la santé où ils ont échangé des idées sur l'hygiène et élaboré une recette de boisson de réhydratation représentée picturalement et pouvant être affichée pour référence. En outre, en utilisant les techniques de broderie guatémaltèques, les ateliers de couture ont attiré les mères moins pauvres et créé un lieu où les femmes venant de divers milieux partagent une activité créative et culturelle. Le projet a réussi grâce, en grande partie, à la participation multidemensionnelle et constante de la communauté et à l'approche à long terme adoptée par les volontaires d'ATD Quart Monde. Il s'agissait d'un vrai partenariat établi sur l'égalité, l'ouverture d'esprit et le respect mutuel. Dix ans plus tard, les techniciens de l'hygiène ont signalé que la baisse initiale du taux de mortalité de 144 à 83 pour 1 000 avait été maintenue et qu'un grand nombre de familles très pauvres avaient bénéficié sur le long terme du lien établi entre la santé et la culture.

L'enseignement préscolaire est un exemple des nombreux projets que les groupes locaux, les ONG et les autres organisations civiles ont lancés pour les plus pauvres afin de partager leur vie, leurs perspectives et leur travail créatif tout en formant un partenariat avec les autres. Comme le souligne une femme participant à un projet dans la France rurale, « écouter ne veut pas dire comprendre. Pour moi, on peut se comprendre quand il est possible d'envisager de faire quelque chose ensemble. » Contrairement aux projets qui visent seulement à créer des services pour les pauvres, ce qui renforce leur marginalisation, ces initiatives mettent en évidence le désir des plus pauvres de participer à la société, renforçant ainsi le sentiment que leur rôle est réel, apprécié et vital.

Le 17 octobre 1987, 100 000 personnes se sont rassemblées sur le Parvis des droits de l'homme, à Paris, pour célébrer les contributions de ceux qui vivent dans l'extrême pauvreté et rendre hommage à ceux qui souffrent et qui meurent dans la misère. Organisée principalement par ATD Quart Monde, le 17 octobre est la journée du refus de la misère et de l'exclusion. En 1992, les Nations Unies ont reconnu cette date comme la Journée internationale pour l'éradication de la pauvreté, journée durant laquelle les participants se rassemblent et s'engagent à assurer le respect de la dignité et la liberté de chaque individu. Dans de nombreuses régions du monde, le 17 de chaque mois donne lieu à des rassemblements spéciaux. Un parent pauvre d'une communauté rurale de la Côte d'Ivoire explique comment les enfants l'ont introduit à ATD Quart Monde par le biais des « bibliothèques ambulantes » mises sur pied par des volontaires pour inciter les enfants à lire, à établir des liens entre eux et à se consacrer à des activités artistiques. « Grâce à nos enfants, nous nous rencontrons le 17 de chaque mois », a-t-elle indiqué. « Les femmes de notre groupe ont discuté et décidé de lancer un projet pour améliorer leurs revenus en fabricant du savon. Nous qui ne nous connaissions pas avant sommes désormais unies pour le bénéfice de tous ».

Comme l'indique un rapport sur la pauvreté du Programme des Nations Unies pour le développement, publié en 1998, les personnes qui vivent de manière permanente dans la pauvreté doivent être « la force motrice pour éradiquer la pauvreté [parce que] elles sont les plus motivées et les premières intéressées. » Pourtant, un rapport publié en 1989 par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance indique que 20 % des personnes ne bénéficient pas des programmes de lutte contre la faim qui leur sont destinés. Ceci suggère qu'on ne déploie pas suffisamment d'efforts pour établir un contact avec les personnes les plus exclues et qu'on ne sait donc pas ce qu'il faut faire pour qu'elles accèdent à leurs droits et réassument leurs responsabilités avec dignité dans un avenir proche. Un message de ceux qui vivent dans les rues de la périphérie de Poznan, en Pologne, démontre la force et la persévérance des très pauvres dans la lutte contre la pauvreté : « Nous sommes des gens persévérants. Dites à tous qu'il ne faut pas arrêter le combat. Dites-leur que nous voulons être en contact avec eux dans le monde entier. Parce que quand vous réalisez que vous êtes un parmi de nombreux autres qui avancent ensemble, vous gardez courage pour encourager les autres ».
Biographies
Anna Fagergren (à gauche) est stagiaire d'été à ATD Quart Monde à New York. Elle a également travaillé comme volontaire dans des organisations d'intérêt public, a été stagiaire dans des institutions juridiques et a écrit plusieurs courts articles pour le Long Island Press.
Vicki Soanes (à droite) a été membre d'ATD Quart Monde pendant près de trois ans. En avril 2004, elle a été représentante auprès des Nations Unies. Elle a beaucoup voyagé et participé pendant six mois, à titre de volontaire, à un projet de développement social en Zambie rurale.
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