La stabilité politique reste un défi

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La stabilité politique reste un défi

— Babacar Gaye
Afrique Renouveau: 
Babacar Gaye, Special Representative of the Secretary-General in the Central African Republic and Head of the UN Multidimensional Integrated Stabilization Mission in the Central African Republic (MINUSCA). photo: UN Photo/Catianne Tijerina
Photo: UN Photo/Catianne Tijerina
Babacar Gaye, Représentant spécial et Chef du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA). UN Photo/Catianne Tijerina
En avril 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé la création de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA). Cette mission, dirigée par Babacar Gaye, le représentant spécial du Secrétaire général dans le pays, a pour mandat de protéger les civils et de soutenir les efforts de paix. Damian Cardona, un fonctionnaire de l’ONU, s’est récemment entretenu avec M. Gaye, du Sénégal, dans la capitale Bangui, pour le compte d’Afrique Renouveau. Voici quelques extraits de l’entretien :

Afrique Renouveau : Quelle a été la principale difficulté rencontrée lors de votre arrivée à Bangui en juillet 2013 ? Dans quel état se trouvait le pays il y a un an ?

Babacar Gaye : À mon arrivée à Bangui en 2013, j’étais responsable d’une mission politique dans un contexte très différent. D’abord, le personnel de l’ONU n’était pas réellement menacé, mais il était confronté à de fortes pressions en raison des pillages que  le pays avait subis avant mon arrivée. Ensuite, c’était un pays où régnait l’anarchie. Un groupe informel appelé la Séléka se chargeait à l’époque du maintien de l’ordre. Les droits de l’homme étaient alors au cœur de mes préoccupations. J’avais un mandat politique. Il s’agissait cependant de ma première mission politique, car j’avais effectué toute ma carrière dans l’armée. J’ai compris la différence le jour où j’ai publié mon premier communiqué de presse, en dénonçant les atteintes aux droits de l’homme et en plaçant l’ONU au-dessus de la mêlée. Le pays n’est plus le même aujourd’hui. Depuis l’attaque du 15 décembre 2013, la situation politique s’est stabilisée. Nous avons aujourd’hui une présidente élue qui fait de son mieux avec des ressources limitées. 

La mission disposera de 12 000 fonctionnaires en tenue. Pourquoi un contingent d’une telle ampleur pour un pays de moins de cinq millions d’habitants ? 

On s’interroge habituellement sur la taille des missions de maintien de la paix, les estimant excessives. C’est plutôt le contraire ici. La plupart des observateurs estiment que 12 000 fonctionnaires sont insuffisants. Je tente de faire de mon mieux avec les ressources que le Conseil de sécurité nous a accordées. Pour le moment, 12 000 est un bon chiffre, par rapport aux autres opérations de maintien de la paix de l’ONU. Mais ce pays est de la taille de la France, avec un tiers de la population de Paris. Si vous tenez compte de la situation actuelle, du manque de forces nationales, notamment de police et de gendarmerie, ainsi que de toutes les lacunes du système judiciaire, vous constaterez que cette mission aura beaucoup à faire pour mettre en œuvre toutes les tâches qui lui ont été confiées. Il s’agira donc de hiérarchiser les tâches et d’innover. Nous devrons prendre des mesures d’urgence temporaires pour aider le gouvernement à rétablir le système de justice pénale. Que cela nous plaise ou non, nous devrons assumer certaines responsabilités au nom du gouvernement. Ainsi, la clé, selon moi, ne réside pas dans la taille de la force, mais dans l’état d’esprit du personnel militaire de maintien de la paix et de mes collègues civils agissant dans le cadre de cette mission.    

En septembre, les troupes présentes au titre de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) deviendront des Casques bleus. Ces troupes sont-elles prêtes à changer de commandement ? 

J’aimerais souligner l’excellente relation qui existe entre l’UA et l’ONU. Pour l’UA le concept de soutien à la paix s’appuie sur une réaction rapide face à toute crise sur le continent et, lorsque la situation se prête au déploiement d’une opération de paix, sur le transfert de  la mission à l’ONU. Le Conseil de sécurité est à l’origine de ce concept et c’est ce qui va se produire . Lorsque vous avez très peu de temps pour intervenir,  vous n’attendez pas de disposer de toutes vos capacités sur le terrain. La majorité des troupes africaines font face à des lacunes en matière de capacité, mais celles-ci sont souvent compensées par leur détermination et leur compréhension des dynamiques régionales. Elles veulent  également éviter le débordement de la crise dans leur propre pays. L’ONU sera donc heureuse d’accueillir au sein de la MINUSCA la plupart des contingents de la MISCA, tout en sachant qu’ils vont progressivement renforcer leurs capacités pour qu’elles soient en conformité avec les normes, règles et procédures de l’ONU.

Quels autres pays prendront part à la MINUSCA ? Existe-t-il un critère de sélection des pays fournisseurs de contingents ?

Oui, en effet. L’ONU a des critères très stricts. Le premier concerne le profil des troupes. Le Secrétaire général a mis en place une politique — la politique de tolérance zéro — concernant non seulement  l’exploitation et les atteintes sexuelles, mais aussi les atteintes aux droits de l’homme. Il est donc très important que nous disposions de troupes présentant de bons profils et qui ont été formées aux opérations de maintien de la paix. Le deuxième critère est que le bureau du conseiller militaire pour les opérations de paix de l’ONU a élaboré un document présentant les normes applicables aux soldats de la paix de l’ONU. Ce document est remis à tous les États Membres. Nous accordons également une attention particulière aux capacités des contingents africains.

Quelle est l’importance du  déploiement dans toutes les régions du pays, et quelle sera l’ampleur `de la tâche ?

Notre objectif est de  déployer la MINUSCA dans tout le pays, et d’ouvrir des bureaux  dans toutes les localités. L’objectif premier est de remplir notre mandat qui est de protéger la population. Il s’agit aussi d’aider le gouvernement à étendre son administration à l’échelle nationale. Nous comptons être présents dans des localités telles que Berberati, Bouar ou Ndélé dans le cadre de la décentralisation. Nous prévoyons également d’aider à attirer des bailleurs de fonds, à élaborer des projets et à traiter les causes profondes de l’insécurité, à savoir la pauvreté et le sous-développement. 

Quel sera le rôle de l’ONU dans le dialogue politique que de nombreuses parties prenantes exigent ?

Notre mandat consiste à soutenir tous les efforts déployés pour stabiliser le pays. Nous fournirons de bons offices qui amorceront un processus politique. Nous nous efforçons de reprendre là où le BINUCA s’est arrêté. Les autorités viennent de consentir à notre concept d’opérations en vue d’un nouveau processus politique. Nous avons également communiqué ce concept aux autres parties prenantes internationales. Il s’agit d’une approche en trois phases : il y aura pour commencer une cessation des hostilités, suivie d’un désarmement ; ensuite, des consultations permettront à toutes les communautés du pays de s’exprimer ; enfin et surtout, nous aiderons à jeter les bases d’un développement économique et d’une bonne gouvernance pour ce pays. Nous avons conçu cette approche en trois phases et l’avons soumise aux commentaires de toutes les parties prenantes. Aujourd’hui, nous nous efforçons d’aider à sa mise en œuvre en offrant  nos bons offices et notre expertise, et si possible, un soutien financier, qui se traduira notamment par des activités à forte intensité de main-d’œuvre que nous proposerons aux anciens combattants. Nous participons donc activement au processus politique. Les autres parties prenantes considèrent les Nations Unies comme un interlocuteur important qui les écoutera et leur donnera voix au chapitre sur la scène internationale, car elles espèrent et doivent résoudre leurs différends.   

Quel sera le rôle de l’Union africaine et des autres acteurs régionaux lorsque le mandat de la MISCA s’éteindra ?

Je pense qu’à l’heure actuelle, l’une des principales réalisations de l’ONU et de la communauté internationale en République centrafricaine, est le fait que nous parlons d’une seule voix en accord avec la coopération entre l’Union africaine, l’ONU et l’Union européenne. Il s’agit là d’une réalisation très positive, car nous avons créé des mécanismes sur le terrain qui permettent un échange de points de vue, des actions coordonnées et une réponse conjointe aux difficultés que la communauté internationale rencontre dans la gestion de cette crise compliquée. Nos travaux se complètent. Il n’y a aucune raison pour que cela change après le transfert de commandement des soldats de la paix de l’UA. Il existe une coordination très étroite entre l’UA, l’ONU et l’Union européenne, ainsi qu’une coopération bilatérale avec des pays comme la France et les États-Unis. Chaque organisation a son avantage comparatif, et je pense qu’il est de notre devoir d’essayer de compléter nos compétences afin de présenter une position commune aux autres parties prenantes.

De quoi  rêvez-vous pour la République centrafricaine en septembre 2015, d’ici un an ?

Je rêve de voir les enfants retourner à l’école. Je rêve de voir les musulmans et les chrétiens, ainsi que les non-musulmans et les non-chrétiens, se préparer pour célébrer leur fête nationale ensemble. Je rêve de voir ce pays retrouver confiance dans l’avenir, que ses habitants souhaitent continuer à exister en tant que pays uni et qu’ils soient en mesure de jouer leur rôle dans le développement d’une République centrafricaine stable et prospère.  

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