Nigéria : La suppression des subventions déclenche des manifestations

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Nigéria : La suppression des subventions déclenche des manifestations

Les troubles mettent en evidence les problèmes de corruption
Afrique Renouveau: 
Panos / George Osodi
Des citoyens nigérians protestent contre le doublement du prix du carburant suite à la suppression d’une subvention gouvernementale. Photo: Panos / George Osodi

Les Nigérians n’ont jamais hésité à manifester en public, même sous le régime dictatorial. Ainsi, lorsque le gouvernement du Président Goodluck Jonathan a exprimé ses vœux pour 2012 aux Nigérians en annonçant la suppression des subventions aux carburants — entraînant le doublement du prix du carburant à la pompe — la vague de manifestations qui a suivi dans l’ensemble du pays êtait prévisible.

Avec 37,2 milliards de barils de réserves pétrolières prouvées, le Nigéria détient les deuxièmes réserves en Afrique (après la Libye) et est le premier producteur de pétrole du continent. Le Nigéria est néanmoins l’unique membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole ayant besoin d’importer du carburant raffiné, et il souffre même souvent de pénuries. Le Nigérian ordinaire ne se sent nullement riche : divisé entre près de 160 millions de personnes, le produit intérieur brut (PIB) n’est en moyenne que de 1 695 dollars par an et par habitant. 

Avant la suppression des subventions, le prix du carburant à la pompe était de 65 naira (0,40 dollar) par litre, contre un prix franco dédouané de 139 naira. Le gouvernement contribuait donc à hauteur de 73 naira, pour un total annuel de 1 200 milliards de naira (7,6 milliards de dollars), soit 2,6 % du PIB du pays. En vigueur depuis 1973, les subventions étaient considérées par une majorité de Nigérians comme l’un des rares avantages dont ils jouissaient en tant que citoyens d’un pays producteur de pétrole. 

Il n’est donc pas surprenant que, le 9 janvier 2012 , soit une semaine après l’annonce de la suppression des subventions, les grèves et manifestations se soient étendues à tout le pays. Cette réaction a incité le gouvernement à réduire le nouveau prix de l’essence et à le porter de 141 naira à 97 naira ; un prix toujours plus élevé que l’ancien mais encore en partie subventionné.

Une réforme nécessaire

Malgré la réprobation générale, la plupart des économistes, au Nigéria et à l’étranger, considèrent la suppression des subventions comme une étape indispensable à la réforme depuis longtemps nécessaire, car le pays ne peut plus en supporter le coût.

L’analyste politique Garba Sani appelle l’attention sur les sommes colossales dépensées pour les subventions, 3 700 milliards de naira (23 milliards de dollars) pour la seule période 2006–2011. En tant que pays producteur de pétrole, ajoute-t-il, le Nigéria ne devrait pas importer — et subventionner — du pétrole raffiné. 

Selon le Professeur Akin Iwayemi, un expert en énergie, en environnement, en infrastructure et en économie du développement, l’ingérence gouvernementale dans l’industrie du pétrole en a empêché la « gestion rentable ». 

Un rapport de Renaissance Capital, une importante banque d'affaires qui se concentre sur les marchés émergents, soutient que la suppression des subventions aux carburants, associée à d’autres réformes du secteur de l’énergie, pourrait renforcer l’intérêt des investisseurs mondiaux pour le marché nigérian. Le Nigéria, indique-t-il, pourrait bien devenir l’un des principaux « nouveaux marchés » dans le monde.

Juste une étincelle

Si les experts sont favorables à la suppression des subventions, pourquoi les Nigérians ordinaires y ont-ils opposé tant de résistance ? À cause des années de colère et de mécontentement à l’égard de l’action du gouvernement, répond Denja Yaqub, Secrétaire général adjoint du Congrès du travail du Nigéria . 

 « Au Nigéria, tous les secteurs présentent des problèmes, si bien que la suppression des subventions a été l’étincelle qui a tout déclenché », déclare M. Yaqub.

Bon nombre de personnes dénoncent la corruption. En 2011, Transparency International a classé le Nigéria parmi les 40 pays les plus corrompus au monde. L’industrie du pétrole en particulier est notoirement corrompue, indique Renaissance Capital. 

Malgré l’espoir suscité par le passage d’un régime militaire à un régime démocratique en 1999, la confiance demeure aussi un problème majeur, explique M. Sani. Les dirigeants du pays semblent être « incapables de s’occuper des injustices sociales et économiques dont ils ont hérité ». 

Le Nigéria jouit aujourd’hui de structures démocratiques, ajoute M. Yaqub, mais la corruption et la gabegie au sein des organes législatifs les empêchent de remplir convenablement leurs obligations démocratiques. « Ils sont organisés, de par la constitution, pour se surveiller les uns les autres, mais ils se comportent tous de la même manière : corrompus, antidémocratiques, irresponsables et complètement imprudents ». 

À la corruption, l’irresponsabilité et le manque de transparence est venue s’ajouter l’évidente incapacité du gouvernement de combattre l’intolérance religieuse grandissante, y compris les attaques de la secte islamiste Boko Haram. Tout ceci a contribué à la résistance à laquelle se sont heurtées les autorités à l’annonce de la suppression des subventions aux carburants. 

L'importance de la stratégie

Il est possible que le Président Jonathan ait eu les meilleures intentions en ce qui concerne l’avenir économique du Nigéria, expliquent les observateurs, mais son gouvernement ne s’est pas doté d’une stratégie de communication et de mise en œuvre efficace. La suppression des subventions était sans doute la bonne mesure à prendre, mais elle n’a pas été prise comme il fallait, ni au bon moment : le pays se remettait à peine des multiples attentats perpétrés par Boko Haram le jour de Noël. 

M. Sani affirme qu’il aurait été préférable de supprimer les subventions par étapes, tout en rénovant les quatre raffineries vétustes du pays. Depuis 2000, le gouvernement a dépensé 1,78 milliard de dollars pour l’entretien des quatre raffineries, sans grands résultats. Celles-ci fonctionnent à moins d’un quart de leur capacité de production, et accusent un retard de 30 ans par rapport aux normes les plus récentes. Certains soutiennent qu’il aurait mieux valu se servir de l’argent utilisé pour les subventions pour construire de nouvelles raffineries et mettre ainsi un terme à la nécessité d’importer du pétrole raffiné. 

En outre, s’attaquer à la corruption et à la gabegie au sein de la Nigérian National Petroleum Corporation aurait rendu la proposition de suppression des subventions plus acceptable pour la population. 

 « S’ils peuvent combattre simultanément [la corruption] ainsi qu’accroître la capacité de production des raffineries et retirer les subventions progressivement, déclare M. Sani, le pays aura alors créé de solides fondations pour une suppression définitive des subventions, pour une capacité de production nationale permanente et pour une économie plus stable ». 

Pour Thomas Sterner, un expert en économie de l’environnement, s’affranchir de la corruption au sein de l’industrie risque de pas être chose aisée du fait des intérêts puissants en jeu. Les élites urbaines tirent directement profit des subventions aux carburants, explique-t-il, à l’instar des contrebandiers et des entreprises pétrolières comme Oando, qui a reçu l’année dernière un peu plus de 1,4 milliard de dollars des importations de carburants subventionnés. 

La prochaine fois que le gouvernement envisagera de supprimer les subventions, il devra se montrer « plus prudent », explique M. Sterner. « Il convient d’avoir une stratégie, et de dire: ‘Nous transférons l’argent immédiatement. Nous allons l’investir dans la santé ou l’éducation, par exemple’ ». Ainsi, dit-il, il serait plus difficile pour ceux à qui profite le statu quo de soutenir que la suppression des subventions nuit aux pauvres.

La participation démocratique

Au-delà du problème des subventions en soi, les analystes politiques ont reconnu l’importance des manifestations de masse contre cette suppression comme un indicateur du chemin parcouru par le pays en matière de participation démocratique.

Taiwo Obe, éditeur, note que lorsque les Nigérians manifestent aujourd’hui, il y a moins de blessés, de morts ou d’arrestations que du temps de la dictature. Les médias sont plus libres aussi, ajoute-il, grâce aux radiodiffuseurs privés comme Channels TV qui a largement couvert les manifestations. Les simples citoyens peuvent aussi se faire entendre plus facilement par le biais des plateformes de médias sociaux.

Le plus important a sans doute été l’unité affichée par les manifestants, surtout compte tenu des rapports faisant état d’une intolérance religieuse grandissante. « Nous avons tous été témoins du fait que la division Nord-Sud n’était pas un problème », observe M. Sani. « La division musulmans-chrétiens n’était pas un problème. Il n’y avait aucun autre problème que le problème des subventions. Les musulmans protégeaient les chrétiens dans leurs églises, et les chrétiens protégeaient les musulmans quand ils priaient le vendredi ». 

Et pour démontrer que le gouvernement s’inscrit dans une stratégie à long terme afin de faire accepter à la population la suppression des subventions, le Président Jonathan a inauguré le programme Subsidy Reinvestment and Empowerment à la mi-février. Ce programme est destiné à contrôler les fonds économisés grâce à la suppression des subventions et à gérer leur investissement dans des projets de travaux publics qui pourraient générer 370 000 emplois, notamment pour les femmes et les jeunes.