Santé publique : trouver la juste approche

Get monthly
e-newsletter

Santé publique : trouver la juste approche

Le Ghana est confronté à la difficulté de rendre le régime de soins de santé accessible à tous
Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
A laboratory studies student taking a blood sample for a routine antenatal malaria test at a government hospital in Ghana. Photo credit: Panos/Nyani Quarmyne
A laboratory studies student taking a blood sample for a routine antenatal malaria test at a government hospital in Ghana. Photo credit: Panos/Nyani Quarmyne
Un étudiant en laboratoire réalise une prise de sang pour un test prénatal de routine dans un hôpital public au Ghana. Photo credit: Panos/Nyani Quarmyne

Bernard Natey n'ayant  pu trouver, dans son Togo natal, de chirurgien cardiaque qualifié capable de lui implanter un stimulateur cardiaque pour soigner son arythmie, il a rapidement fait ses bagages pour aller séjourner dans un hôpital du Ghana voisin. Bernard Natey a confié à Afrique Renouveau qu'il envisageait de se faire opérer à l'Hôpital Universitaire Korle-Bu de la capitale, Accra, le principal hôpital public du Ghana, qui offre des soins avancés et spécialisés rarement disponibles dans d'autres institutions de soins de santé d'Afrique de l'Ouest.

L'hôpital se félicite de compter parmi sa clientèle une part importante de patients venus de pays voisins du Ghana, comme le Burkina Faso, le Nigéria ou le Togo, en raison de son expertise dans le domaine de la chirurgie plastique et reconstructive, du traitement des brûlures, de ses services de chirugie cardiothoracique et de radiothérapie ainsi que de médecine nucléaire .

L'expérience de Bernard Natey est commune à de nombreux  patients d'Afrique subsaharienne qui ont besoin de soins médicaux mais ne peuvent les obtenir dans leur pays d'origine, parce qu'ils ne sont pas proposés ou que leurs  coûts sont prohibitifs.

Selon une étude d'Afrobaromètre, un réseau de recherche panafricain indépendant qui réalise des sondages d'opinion, près de la moitié des personnes interrogées dans 36 pays africains disent n'avoir pas eu accès aux soins médicaux qu'elles désiraient en 2014 ou 2015, et 4 personnes sur 10 ont indiqué avoir eu  « du mal  » ou « beaucoup de mal  » à obtenir des soins nécessaires pendant cette période.

Partout en Afrique de l'Ouest, tel est le dilemme qui se pose à de nombreux  patients en quête   de soins de santé de qualité. Des citoyens de la Côte d'Ivoire, de la Gambie, du Libéria et de la Sierra Leone se rendent souvent  au Ghana pour se faire soigner.

Quels sont donc ces soins de santé qu'offre le Ghana et qui attirent les Ghanéens tout comme les étrangers ?

Accès garanti 

La réponse se trouve dans  la disponibilité et l’accessibilité. Afin de rendre les soins de santé accessibles à tous, le Ghana a été l'un des premiers pays africains à mettre en place un système universel d'assurance maladie — le National Health Insurance Scheme (NHIS).

Le pays met actuellement en œuvre un programme de partenariat public-privé qui permet à un réseau d'établissements privés de dispenser des soins de santé dans des régions dépourvues de services de santé publique. Bien qu'il soit confronté à des défis, ce programme a été applaudi à l'échelle internationale, notamment par les Nations Unies et la Banque mondiale, en tant que modèle pour l'Afrique subsaharienne, face aux défis auxquels sont confrontés les systèmes de santé publique de la région.

Le NHIS est subventionné  par le gouvernement et  financé surtout grâce à  la taxe sur  certains biens et services. Il couvre le traitement des maladies les plus répandues dans le pays, dont  le paludisme, les maladies de la peau, les troubles de l'estomac, l'hypertension, le diabète, l'asthme, les infections oculaires et auriculaires, les rhumatismes et la typhoïde. Le système couvre également les soins dentaires.

Conformément à  la loi, toute personne résidant au Ghana est tenue de s'inscrire et, à moins qu'elle n'appartienne à l'un des groupes exemptés, de payer des primes annuelles. En contrepartie, ces personnes ne sont pas tenues d'effectuer d'autres paiements directs lorsqu'elles ont besoin de soins.

Ce système a subi quelques réformes depuis son inauguration officielle en 2004. En 2011, le NHIS a été distingué par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour avoir « amélioré l'accès financier aux services de santé, en particulier pour les pauvres et les personnes marginalisées ». 

En 2013, plus de 10 millions de personnes étaient inscrites au NHIS, soit environ 38 % de la population totale. Dans le classement Afrobaromètre des pays par pourcentage de citoyens n'ayant pas accès aux soins de santé, le Ghana bénéficie du quatrième plus faible pourcentage (26 %) sur les deux dernières années, juste derrière l'Algérie (25 %), le Cap-Vert (19 %) et l’Île Maurice (2 %).

La performance du Ghana peut être attribuée au régime d'assurance. Une étude sur l'impact du NHIS sur l'utilisation des soins de santé, publiée en 2012 dans le Ghana Medical Journal, révèle  que les personnes disposant d'une assurance maladie sont  plus susceptibles d'obtenir des ordonnances, de se rendre dans  les cliniques et de chercher des soins de santé formels en cas de maladie. Et les auteurs de conclure : « L'objectif du gouvernement ghanéen d'accroître l'accès au secteur des soins de santé formels grâce à  l'assurance maladie a été atteint au moins en partie . » Le recours accru aux soins de santé s'explique aussi par le fait que   le gouvernement s'appuie sur le secteur privé pour l'accès à ces soins. Le Ghana est « en avance sur de nombreux autres pays [africains] » du fait d'une politique bien précise  sur le rôle du secteur privé dans la santé, souligne la Banque mondiale dans un document de travail sur l'évaluation du secteur privé de santé au Ghana .

Le gouvernement a ainsi conclu un partenariat avec l'Association chrétienne de  santé du Ghana (Christian Health Association of Ghana, CHAG), un réseau confessionnel  d'obédience chrétienne de 183 prestataires de soins, afin d'offrir des services de santé dans les zones mal desservies. Aux termes de cet accord, le gouvernement apporte son soutien aux installations du réseau sous forme de salaires, d'équipements et de fournitures  médicales. Comme les membres du CHAG offrent leurs  services aux collectivités  défavorisées dans des régions éloignées à travers tout le pays, leur réseau permet au gouvernement de fournir des soins de santé dans  les régions ne disposant pas  d'installations publiques.

« Le partenariat public-privé entre le Ministère de la santé et le CHAG est unique en Afrique subsaharienne et fonctionne bien, ce qui permet au CHAG d'agir comme une agence du gouvernement, en particulier dans les zones rurales mal desservies », explique le rapport de la Banque mondiale.

Crise de croissance  

Les choses n'ont cependant pas toujours été simples pour le NHIS depuis sa création  il y a plus de dix ans et le système semble passer par une crise . Selon les estimations du gouvernement, seulement un peu plus de 38 % de la population  participe au régime en place, et les hôpitaux continuent de demander à certains assurés de payer pour leurs soins. Les fournisseurs de soins de santé se plaignent régulièrement de ne pas être remboursés assez rapidement.

En outre, bien que l'assurance soit obligatoire pour tous les résidents du Ghana et qu'elle soit financée par les primes des abonnés — 2,5% de cotisation nationale d'assurance maladie, 2,5% de fonds d'affectation de la sécurité sociale et de l'assurance nationale, les déductions du secteur formel, les fonds du gouvernement, les associations caritatives et les retours d'investissement — les experts estiment que depuis 2009, le régime reste insuffisamment financé.

La National Health Insurance Authority ( Organisme national d'assurance médicale), qui administre la NHIS, note sur son site Web que 69 % des assurés sont exemptés du paiement des primes. Il s'agit des  moins de 18 ans et des plus de 70 ans, des femmes enceintes, des nécessiteux  et de ceux qui appartiennent à des catégories particulières  d'invalidité.

L'agence reconnaît que le coût de la prestation de soins a augmenté beaucoup plus rapidement que les ressources financières disponibles depuis que le régime est devenu opérationnel en 2005, ce qui a donné lieu à des déficits annuels croissants ces dernières années.

Alors que le Ghana se prépare à organiser des élections générales en décembre 2016, la durabilité du régime d'assurance maladie est devenue un point de conflit entre les principaux partis politiques. Le principal parti d'opposition soutient que le régime a fait son temps  mais il promet de le ressusciter  s'il est élu, tandis que le parti au pouvoir souligne les efforts réalisés au niveau national pour inciter les inscrits au régime médical à renouveler leur adhésion annuelle, témoignant ainsi de la réussite du système. 

Abstraction faite des postures politiques, la plupart des Ghanéens semblent néanmoins s'entendre sur la nécessité des réformes.

En vue de  pérenniser le régime, une étude commandée par le gouvernement propose de réduire les coûts en limitant la couverture médicale aux soins de base, maternels et infantiles.

« Le NHIS doit être réorienté vers l'accès universel aux soins de santé de base à moyen terme et vers une réalisation progressive de l'accès universel à des niveaux de soins plus élevés à long terme », a recommandé en avril le comité chargé de l'étude.

Alors que le pays réfléchit à la pérennisation de son régime d'assurance et aux problèmes que rencontrent parfois les établissements publics en ce qui concerne la fiabilité des soins, Korle-Bu, le principal hôpital public d'Accra, continue d'attirer des patients venus de l'étranger du fait de sa réputation en matière d'innovation et de soins de pointe.