Les médias africains militent en faveur d’une plus grande liberté

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Les médias africains militent en faveur d’une plus grande liberté

La profession de journaliste devient peu à peu moins ardue
Afrique Renouveau: 
Associated Press / George Osodi

Pouvoirs publics et médias ne sont souvent pas d’accord sur ce qu’il faut dire au public mais la lutte a rarement été aussi acharnée qu’entre le défunt dirigeant militaire nigérian, le Général Sani Abacha, et les “journalistes de choc” du magazine Tell. Ce magazine hebdomadaire grand public s’est attiré les foudres du général en condamnant son coup d’État de 1993 et en donnant des détails sur les agissements internes de son gouvernement. En réaction, les bureaux du magazine ont été fermés et un de ses rédacteurs en chef emprisonné.

À l’époque, ce n’était que trop courant en Afrique, où les pouvoirs publics réagissaient souvent à des articles défavorables en supprimant leur auteur, en l’emprisonnant ou en l’exilant.

Mais, dans le cas de Tell, les auteurs ont contre-attaqué. Au lieu de fermer boutique, le magazine est entré dans la clandestinité dans l’ensemble du pays. Il a toujours eu une longueur d’avance sur la police et a réussi à continuer de paraître. L’histoire s’est bien terminée : le rétablissement de la démocratie en 1999 a permis à Tell de réintégrer triomphalement ses bureaux.

Newspaper vendor in Nigeria Vendeur de journaux au Nigéria : La démocratie ayant progressé, le climat est maintenant plus propice à la liberté de la presse.
Photo: Associated Press / George Osodi

À travers l’Afrique, les conflits de ce genre se font de moins en moins fréquents, grâce aux progrès de la démocratie, à une plus grande mobilisation locale et internationale en faveur des droits de l’homme et à une société civile dynamique et indépendante.

Toutefois, des problèmes subsistent en Afrique, comme ailleurs. “Parce qu’ils accomplissent leur tâche indispensable, de nombreux journalistes sont persécutés, attaqués, emprisonnés, assassinés”, a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, le 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse. “Nous saluons le courage et le dévouement des journalistes qui bravent le danger, voire la violence, pour exercer leur droit de chercher et de dire la vérité."

En général, indique Mme Zoe Titus, qui supervise la liberté de la presse pour l’Institut non gouvernemental des médias d’Afrique australe (MISA), “La situation de la presse s’est améliorée dans une certaine mesure dans presque toute l’Afrique; du moins en ce qui concerne les agressions et détentions arbitraires de journalistes et les fermetures de publications et de stations de radio.”

Moins d’agressions, plus d’indépendance

Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) qui a son siège aux Etats-Unis, en 2004 - année la plus meurtrière depuis dix ans pour les journa-listes – “il y a eu moins de meurtres ou d’emprisonnements de journalistes en Afrique que dans d’autres régions”. Deux journalistes ont trouvé la mort en Afrique en 2004, un autre a été porté disparu et est peut-être mort et 19 autres ont été emprisonnés pour de longues périodes. À l’échelle mondiale, 56 journalistes sont morts, 19 ont été portés disparus et 124 ont été incarcérés pour de longues périodes.

D’après les informations qui parviennent au MISA, les “progrès remarquables des dernières années” de la liberté de la presse en Afrique dont fait état le CPJ se poursuivent, bien que lentement et de manière inégale. L’année 2001 reste la seule année où aucun membre des médias n’a été tué dans l’exercice de ses fonctions en Afrique. Les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle et les éditeurs continuent à être la cible de formes moins sévères de harcèlement, allant d’agressions et d’incarcérations de courte durée à des menaces de poursuites pénales et de procès civils, par exemple pour insulte au président ou atteinte aux intérêts de l’Etat. Des boycotts des annonceurs et d’autres formes de pression financière existent aussi.

“La situation de la presse s’est améliorée dans une certaine mesure dans presque toute l’Afrique; c’est du moins le cas en ce qui concerne les agressions arbitraires perpétrées à l’encontre de journalistes ainsi que les détentions arbitraires de journalistes et les fermetures de publications et de stations de radio.”

— Mme Zoe Titus, Institut des médias d’Afrique australe

Malgré de tels problèmes, “les nouveaux régimes démocratiques” des dix dernières années ont permis des progrès, a indiqué Mme Titus à Afrique Renouveau. En Afrique du Sud et dans quelques autres pays, “après la transition vers la démocratie, il y a eu de grandes réformes des lois limitant la liberté d’expression et la liberté de la presse”. Ailleurs, les gouvernements ont réduit les formes les plus graves de censure mais des lois répressives restent en vigueur.

La diversité et l’indépendance des médias ont également progressé. Autrefois l’État avait souvent le monopole de la presse écrite et audiovisuelle sur le continent mais on voit désormais proliférer des stations de radio et des journaux privés ou communautaires. Les progrès technologiques - Internet, télécommunications par satellites et matériel de diffusion et d’impression à bas coût - ont permis aux citoyens d’avoir accès à une plus grande variété de points de vue.

Plus grand respect des droits de l’homme

L’apparition de nouvelles institutions régio-nales plus efficaces, dont l’Union africaine (UA) et son Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), a également été bénéfique.

Bien que la liberté d’expression et de la presse soit désormais considérée comme indispensable à la démocratie et au développement, ces droits ne sont pas suffisamment garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1986. Si les deux chartes affirment que le droit de recevoir et de diffuser des informations est un droit de la personne, elles ne mentionnent pas expressément la liberté de la presse. Mme Titus estime que cela n’a rien d’étonnant pour des manifestes rédigés par des pouvoirs publics à l’intention de pouvoirs publics.

Pour remédier à ces lacunes, les journalistes africains de la presse écrite et audiovisuelle se sont réunis à Windhoek (Namibie) en avril 1991 sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture afin d’adopter une déclaration prônant “la création, le maintien et le renforcement d’une presse indépendante, pluraliste et libre” et “la suppression des monopoles de tous genres”.

Initiatives africaines

Après la déclaration de Windhoek, il y a eu dix ans de campagnes de sensibilisation, de protestations et de mobilisations dans l’ensemble du continent. Parmi les associations professionnelles et les groupes de surveillance figurent le MISA, l’Association des journalistes d’Afrique de l’Ouest (avec des sections dans 16 pays) et l’Association des journalistes d’Afrique de l’Est.

En 2002, les journalistes africains, avec l’appui d’un grand nombre des nouvelles démocraties que compte l’Afrique, ont franchi un cap important lorsque la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté la Déclaration des principes de Banjul sur la liberté d’expression en Afrique. Cette déclaration qui est juridiquement contraignante pour les signataires du protocole établissant la nouvelle Cour de justice africaine donne force juridique à la liberté d’expression et à la liberté de la presse.

Coverage of Ghana’s December 2004 elections Couverture des élections de décembre 2004 au Ghana: Le pluralisme des médias permet aux citoyens d’être mieux informés.
Photo: Associated Press / George Osodi

Le journaliste camerounais Pius Njawe note que “la création de structures régionales chargées de résoudre les problèmes liés à la liberté de la presse … concourt à l’instauration de la démocratie en Afrique. Les journalistes africains continuent à bénéficier d’un appui du public dans leurs pays ainsi qu’à l’étranger”.

La liberté de la presse est également inscrite dans la Déclaration du NEPAD sur la démocratie, qui engage les gouvernements africains à “garantir une liberté d’expression digne de ce nom, y compris une liberté de la presse”. La liberté des médias et leur diversité figurent au nombre des critères dont tient compte le mécanisme d’évaluation intra-africaine du NEPAD pour évaluer le respect des droits de l’homme et la gouvernance.

“L’adoption par l’UA et la Commission africaine de la Déclaration de Banjul constitue un véritable exploit pour les médias africains”, indique Mme Titus. “Elle a ouvert la voie à de nouvelles activités de sensibilisation et au respect de la loi -- à l’initiative des journalistes et des gouvernements africains eux-mêmes.” Le MISA est au nombre des parties en cause dans la première affaire traitant de la liberté des médias déférée à la Cour africaine - la contestation de la fermeture par le Zimbabwe de plusieurs journaux indépendants en application de la loi récente sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.

Responsabilité et solidarité

Mme Titus invite l’ONU et la communauté internationale à renforcer leur partenariat avec les militants africains des médias et à leur offrir un soutien politique et technique plus important. Elle ajoute que certaines des pressions externes exercées sur les gouvernements africains ont parfois eu des effets négatifs – lorsque l’Occident s’est acharné sur le Zimbabwe, ce qui a non seulement contrecarré les campagnes organisées par les médias locaux, mais a aussi eu pour effet de détourner l’attention des violations des droits des médias commises dans d’autres pays.

La communauté internationale peut s’avérer d’un très grand secours, suggère-t-elle, si elle améliore le professionnalisme des médias africains en renforçant leur formation et en procédant à des échanges professionnels.

Le manque de moyens des médias, conclut Mme Titus, constitue en soi une menace pour la liberté en Afrique. Elle note que certaines stations de radio ont largement contribué au génocide rwandais de 1994 et que les médias se sont rendus coupables d’agissements similaires dans d’autres pays. “Nous reconnaissons que les médias ont eux aussi des devoirs et des obligations. Mais nous rappelons aux gouvernements qu’il leur incombe d’instaurer certaines conditions. Ce n’est pas la peine de garder pour soi certaines informations si c’est pour ensuite se plaindre que les reporters font du mauvais travail. Je pense que les gouvernements sont de plus en plus nombreux à s’en rendre compte.”