En 1978, la Déclaration d'Alma-Ata issue de la Conférence sur les soins de santé primaires a mis en évidence l'importance des soins de santé primaires comme moyen d'accéder à un niveau acceptable de santé pour tous. L'initiative était ambitieuse. La Déclaration a été adoptée en réponse aux inégalités qui existent dans la situation sanitaire des populations et a proposé une stratégie pour réduire ces écarts en préconisant un changement fondamental des systèmes de santé et de la fourniture des soins. Comme le déclarait la Déclaration, une politique éclairée, qui fait de l'accès équitable aux soins de santé un objectif explicite, peut améliorer le niveau de santé des populations, leur permettre de mener une vie sociale et économique satisfaisante et de devenir ainsi le moteur du développement. La santé des populations défavorisées étant souvent compromise par des taux d'analphabétisme faibles, la malnutrition, des conditions de logement déplorables, le manque d'accès à l'eau salubre, l'insuffisance des services d'assainissement, l'approche des soins de santé primaires a été élargie pour inclure les dimensions sociales et économiques. Dans le cadre de cette vaste approche de la santé publique, les soins de santé primaires ont été orientés à la fois sur la recherche de solutions pour toute la population mettant l'accent à la fois sur la prévention et la guérison. Une attention particulière a été accordée à la prise en charge au niveau local et à la participation des communautés, reconnaissant ainsi la résilience et l'ingénuité de l'esprit humain et laissant aux communautés une marge de manœuvre pour créer et soutenir leurs propres solutions.
Cette approche a été presque immédiatement mal comprise. Certains ont considéré que c'était une attaque radicale contre l'ordre médical. Une utopie. Une confusion avec une approche uniquement centrée sur le premier niveau de protection sociale. D'autres ont dénoncé une approche de la santé défavorable aux pauvres, considérant qu'il s'agissait d'une solution de deuxième choix pour les pays en développement.
Les penseurs visionnaires de 1978 n'avaient pas non plus anticipé les événements mondiaux : une crise du pétrole qui a frappé durement les pays en 1979, suivie d'une récession économique, et l'introduction par les banques de développement des programmes d'ajustement structurel qui ont remis en cause la part des dépenses nationales consacrées aux services sociaux, y compris au secteur de la santé.
Avec la diminution des ressources pour la santé, des approches sélectives utilisant des plans d'interventions ont été préférées à la refonte des soins de santé. Avec l'émergence du VIH/sida, la réapparition associée de la tuberculose et la recrudescence du paludisme, la santé publique internationale a délaissé la mise en œuvre de vastes programmes pour gérer les situations d'urgence à mortalité élevée. En 1994, une étude menée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les changements mondiaux survenus dans le domaine de la santé depuis Alma-Ata a conclu que l'objectif de la santé pour tous d'ici l'an 2000 ne serait pas atteint.
Que peut-on retenir des expériences d'un mouvement qui n'a pas réussi à atteindre son objectif ? Apparemment, beaucoup. Aujourd'hui, les soins de santé primaires ne font plus l'objet d'une profonde incompréhension. En fait, plusieurs tendances et événements ont montré clairement leur pertinence d'une façon qui n'aurait pas été possible il y a 30 ans. Les soins de santé primaires sont de plus en plus considérés comme une façon intelligente de remettre sur les rails le développement de la santé.
Une Revitalisation
La Déclaration du Millénaire et ses objectifs ont revitalisé les valeurs d'égalité et de justice sociale, cette fois avec pour objectif de ne pas laisser les pauvres à l'écart de la mondialisation. Ensemble, les huit Objectifs du Millénaire pour le développement représentent les mesures les plus ambitieuses prises pour s'attaquer à la misère humaine. Ils reconnaissent la contribution de la santé à l'objectif primordial visant à réduire la pauvreté. Comme l'approche des soins de santé primaires, ils examinent les causes profondes des maladies qui se manifestent dans d'autres secteurs.
Dans les efforts déployés pour atteindre les Objectifs liés à la santé, de multiples initiatives de santé mondiale ont été lancées pour traiter les maladies prioritaires et améliorer la couverture vaccinale des enfants. Au cours des dix dernières années, l'aide publique au développement en matière de santé a plus que triplé, passant de 6,5 milliards de dollars en 2000 à plus de 21 milliards en 2007.
Si beaucoup a été accompli, ces efforts ont révélé une vérité fondamentale : des interventions de grande envergure et des ressources financières pour les mettre en œuvre ne donneront pas de meilleurs résultats de santé sans des systèmes de prestations de services justes et efficaces. Comme la communauté internationale le reconnaít aujourd'hui, les systèmes de santé, affaiblis par des décennies de négligence, sont l'obstacle fondamental à une meilleure santé.
Un intérêt renouvelé pour la performance du système de santé coïncide avec plusieurs tendances alarmantes qui montrent que les valeurs fondamentales, les principes et les approches des soins de santé primaires sont plus que jamais pertinents. Les inégalités mondiales entre les revenus, les opportunités et les résultats dans le domaine de la santé qui, en 1978, ont motivé les efforts pour améliorer l'accès équitable aux soins de santé sont, en fait, plus marquées aujourd'hui qu'au cours des dernières décennies. L'espérance de vie entre les pays riches et les pays pauvres varient de plus de 40 ans. Les dépenses annuelles allouées par les gouvernements au secteur de la santé varient de 20 dollars par personne à plus de 6 000 dollars.
Partout dans le monde, les coûts de la santé montent en flèche. Aidées par la révolution dans le domaine des technologies de l'information et des communications, les demandes pour des soins de santé de qualité qui soient équitables et abordables augmentent.
Dans toutes les régions, la santé est de plus en plus déterminée par les mêmes forces puissantes. Avec l'augmentation phénoménale du nombre de voyages internationaux en avion, les maladies émergentes et sujettes aux épidémies représentent une menace beaucoup plus grande. Les accords commerciaux ont des répercussions sur la disponibilité ainsi que sur les prix des produits de base dans le monde, y compris les produits alimentaires et pharmaceutiques, souvent sans se préoccuper des effets sur la santé.
Les tendances universelles, comme l'urbanisation, le vieillissement de la population et l'adoption de modes de vie préjudiciables à la santé, ont entraíné une augmentation des maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, le cancer et le diabète. Longtemps associées aux pays riches, ces maladies imposent aujourd'hui 80 % de leur fardeau aux pays aux revenus faible et intermédiaire. Les traitements à long terme qu'elles nécessitent affaiblissent les systèmes de santé déjà fragilisés et entraínent une augmentation des coûts. Le nombre croissant de personnes âgées fragiles nécessite le renforcement des systèmes de santé, du personnel de santé et des services sociaux.
Les efforts faits pour prévenir les maladies sont devenues plus complexes. Les maladies chroniques, par exemple, sont souvent causées par un nombre limité de facteurs liés aux modes de vie, or ces facteurs échappent au contrôle direct du secteur de la santé. Si l'amélioration de la santé dépend depuis longtemps de la collaboration entre de multiples secteurs, les actions menées pour influer sur les déterminants de la santé opposent de plus en plus les intérêts de la santé publique à ceux des industries qui élaborent des stratégies de commercialisation très efficaces.
Prises ensemble, ces tendances permettent d'expliquer les appels récents des dirigeants de toutes les régions du monde pour une réforme des soins de santé primaires. Les systèmes de santé ne seront pas automatiquement gérés de manière à offrir une plus grande efficacité ou une plus grande égalité d'accès aux soins. Tant que des mesures ne seront pas prises, les progrès en sciences biomédicales continueront de bénéficier à une minorité privilégiée, les pauvres continueront d'être exclus des soins essentiels de base et les écarts existant dans le domaine de la santé se creuseront, à la fois dans les pays et entre ceux-ci.
Surtout, comme l'expérience l'a clairement montré pendant la dernière décennie, les ressources financières, les engagements et les soins offerts dans le monde ne suffiront pas à améliorer la santé en l'absence de systèmes de prestations de service efficaces. En tant que plate-forme pour le renforcement des systèmes de santé, les soins de santé primaires peuvent faire de l'égalité d'accès aux soins de santé de qualité un objectif explicite. Les Objectifs du Millénaire pour le développement sont le chemin vers la réduction de la pauvreté. Pour parler franchement, si nous ne faisons rien pour les pauvres, nous faisons une erreur.