«On sait qu'avec une élévation d'un niveau de la mer de 1,5 m, des centaines de millions de personnes mourront. Ils seront tout simplement balayés», a déclaré à la Chronique de l'ONU le Président Mohamed Nasheed de la République des Maldives deux jours seulement après avoir évoqué la situation de son pays devant les autres dirigeants mondiaux au Sommet sur le changement climatique de l'Assemblée générale de l'ONU en 2009.

La menace posée par l'élévation du niveau de la mer est la pierre angulaire des négociations sur le changement climatique, la question principale mise en avant par les petits États insulaires en développement, appelés PEID.

À moins d'un mois avant la Conférence sur le changement climatique des Nations Unies qui aura lieu en décembre 2009 à Copenhague, ceux qui considèrent le réchauffement climatique comme un phénomène assez vague commencent peut-être à se demander quelles conséquences il pourra avoir sur leur vie. Mais il n'y a pas besoin d'attendre pour voir que les PEID sont déjà menacés par de grandes marées, des cyclones, des inondations, des cultures endommagées, l'augmentation de la fréquence des maladies, l'inondation des régions côtières et la perte des ressources en eau douce. Ces petits États insulaires sont sur « la ligne de fron » des changements climatiques. Au cours de l'ère post-industrielle, la consommation de combustibles fossiles a augmenté de manière drastique la quantité de dioxyde de carbone (CO2), provoquant des dégâts dans l'environnement et l'infrastructure de nombreux petits États insulaires et d'autres régions de faible élévation.

Les pays plus pauvres entourés de vastes masses d'eau - qui ont contribué le moins au réchauffement climatique, y compris à l'élévation rapide du niveau de la mer - se trouvent aujourd'hui à la merci des pollueurs. Les pays du Nord perdent de leur crédibilité très rapidement, a déclaré à la Chronique de l'ONU Ronny Jumeau, l'ambassadeur des Seychelles, Représentant permanent de ce pays aux Nations Unies. «Disons que ma maison a été inondée et a subi d'importants dégâts à cause de mon voisin et que je n'y suis pour rien. Pourtant, je dois emprunter de l'argent à ce voisin et lui payer des intérêts le reste de ma vie afin de nettoyer les dégâts qu'il a causés. C'est malhonnête.»

LES GRAINES D'UNE ALLIANCE
Aux Nations Unies, 43 des plus petites íles insulaires et des régions côtières de faible élévation, représentant les États Membres ayant le plus de chances d'être touchés par les changements climatiques, ont forgé une alliance appelée l'Alliance des petites íles insulaires (AOSIS). Alors qu'AOSIS représente plus d'un quart des pays du monde, ces pays sont responsables de moins d'1%des émissions mondiales de carbone. Après le discours virulent de l'ancien Président de la République des Maldives, Maumoon Abdul Gayoom, à la réunion des chefs de Gouvernement du Commonwealth à l'Assemblée générale des Nations Unies en octobre 1987 où il a parlé pour la première fois de «la mort d'une nation», l'idée d'un bloc de nations insulaires a pris un nouvel essor. Trois ans plus tard, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du changement climatique (GEIEC) a publié sa première évaluation sur le changement climatique coïncidant avec la Deuxième Conférence sur le changement climatique à Genève, et le PEID est né. Les ambassadeurs des petits États insulaires appellent le Président Gayoom le «créateur» de leur coalition. Vingt ans après, à l'Assemblée générale de l'ONU, le Président Nasheed a dit aux dirigeants mondiaux qu'ils devaient «changer les habitudes qui ont conduit à 20 ans d'excès de confiance et de promesses non tenues sur le changement climatique» depuis 1990.

NÉGOCIER POSITIONS CONTRE INTÉRÊTS
À une conférence de presse au siège de l'ONU en juillet 2009, l'ambassadrice Desama Williams, Représentante permanente de la Grenade auprès des Nations Unies et présidente actuelle d'AOSIS, a souligné la nécessité de limiter la hausse des températures à moins de 1,5 °C, à la fois à court terme comme à moyen terme. «Si des engagements mondiaux appropriés ne sont pas pris pour limiter la hausse des températures causée par les émissions de gaz à effet de serre, les petites íles seront submergées», a-t-elle indiqué.

Pour empêcher que ces íles ne soient englouties par l'océan, chaque État Membre devrait abandonner l'attitude attentiste face aux questions difficiles relatives à l'adaptation et à l'atténuation et se concentrer sur leurs intérêts collectifs. Jusqu'ici, les arguments de position, un terme employé dans les négociations indiquant que les discussions portent sur des chiffres précis, ont eu peu de succès. Ce qu'il faut maintenant pour surmonter les défis politiques, c'est une solution durable et concrète à laquelle tous les États Membres se rallient - une politique sur le climat réaliste et ambitieuse qui assure une croissance économique et un développement durables dans toutes les régions du monde.

Mais comment les petites íles comme les Comores ou les Palaos peuvent-elles avoir des arguments de poids pour convaincre la communauté internationale qu'il est temps de lancer un appel à l'action ? La cruelle ironie, selon M. Jumeau, c'est que les petites íles insulaires ont un champ de manœuvre limité : «Nous ne pouvons pas partir en croisade dans le monde. Plus nous nous faisons entendre, plus nous effrayons les investisseurs et les touristes et détruisons nos moyens de subsistance», a-t-il expliqué.

Alors que ces pays font face aux limites de la responsabilité des pays industrialisés du Nord, M. Jumeau fait remarquer que «le débat sur le changement climatique ne peut avoir lieu dans le videsorte que nous ne pouvons pas nous manifester et nous opposer à elles. Et nous n'avons pas d'alliés dans le Sud non plus; pour cela aussi, il faut engager des négociations acharnées. Ce que nous avons, c'est un groupe d'États de plus en plus frustrés.»

LES PHARES DU MONDE
Mais si un sentiment de frustration domine dans les petites íles, des acteurs ont déployé des efforts importants pour placer le changement climatique à l'ordre du jour des Nations Unies et, dans le passé, ont joué un rôle important dans les négociations d'accords internationaux. Par exemple, le rôle que la Papouasie-Nouvelle-Guinée a joué dans les discussions sur l'initiative Émissions résultant de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD) lors de la conférence sur le changement climatique de l'ONU qui s'est tenue en décembre 2007 à Bali, en Indonésie. L'initiative redd de crédits carbone pour les forêts vise essentiellement à réduire les émissions dans les pays en développement en finançant la conservation des forêts, la reforestation et la réduction de la pauvreté tout en luttant contre le changement climatique.

Le professeur Graciela Chichilnisky de l'Université de Columbia qui a participé à l'élaboration du Protocole de Kyoto a dit à la Chonique de l'ONU : «Bien que la Papouasie-Nouvelle-Guinée soit un État minuscule, son intervention a poussé les États-Unis à participer au processus de Kyoto et à accepter le reboisement en échange de crédits carbone.»Le dernier jour de la Conférence de Bali, après que Paula Dobriansky, une déléguée américaine, avait indiqué que les États-Unis étaient peu disposés à soutenir la Feuille de route de Bali (la Feuille de route fixe un nouveau cadre aux négociations sur le climat qui devront être terminées en 2009), Kevin Conrad, un membre de la délégation de la Papouasie-nouvelle-guinée, a répondu : Un proverbe dit : «Si vous n'êtes pas disposés à mener, laissez-nous prendre les rênes. Ne vous mettez pas sur notre chemin», a lancé M. Conrad. La salle a applaudi avec effusion et plusieurs minutes plus tard, Mme Dobrianski est revenue sur la position des États-Unis.

En tant que voix unifiée soutenue par le système de l'ONU, l'Alliance AOSIS est exemplaire dans la façon dont elle exerce une influence pour faire connaítre ses positions et la stratégie pour promouvoir la politique sur le climat. «Il serait difficile pour le G-77 (groupe de pays en développement) de rejeter les accords que les États insulaires acceptent. Dans ce sens, ils ont le pouvoir de décision.» Dans un entretien avec la Chronique de l'ONU, l'ambassadeur Ahmed Khaleel, Représentant permanent des Maldives aux Nations Unies a déclaré : «Le succès d'AOSIS est dû au fait que nous partageons une passion commune et que nous œuvrons comme un seul homme. Sur les principes majeurs du changement climatique, nous ne cédons pas.» LA SÉCURITÉ MONDIALE
S'adressant à la Chronique de l'ONU, le Président Nasheed a mis en garde que le conflit sur le changement climatique pourrait se durcir et engendrer des perturbations dans de nombreuses régions du monde, expliquant que « les pays sont maintenant menacés par les changements climatiques et par les pressions qu'ils exercent sur les ressources. Il ne s'agit pas seulement de l'environnement; il s'agit aussi de la sécurité mondiale. »

Le Président Nasheed a évoqué la question de la sécurité mondiale, un point important soulevé en juin par un groupe régional de petits États insulaires en développement du Pacifique et qui a donné lieu à une résolution de l'Assemblée générale reconnaissant les conséquences possibles du changement climatique sur la sécurité. Alors que la résolution, coparrainée par tous les membres de l'AOSIS, n'est pas contraignante, elle représente une victoire symbolique, confère un poids moral au changement climatique et place le changement climatique à l'ordre du jour du Conseil de sécurité de l'ONU beaucoup plus puissant.

Dans un entretien accordé à la Chronique de l'ONU, Caleb Christopher, conseiller juridique à la Mission permanente de la République des íles Marshall auprès des Nations Unies, dit que son pays considère que le changement climatique constitue une menace à la sécurité nationale et à la stabilité mondiale. L'argument est essentiellement le suivant : si vous perdez un membre des Nations Unies, cela constitue en soi une question internationale grave. M. Christopher a fait remarquer que « selon la formulation de l'article 1 de la Charte de l'ONU, il n'y a pas une grande différence entre une armée qui envahit un pays et l'élévation du niveau la mer qui entraíne la disparition d'une íle ». Dans ce contexte de la sécurité liée au changement climatique, il est aussi important de déterminer comment les ressources seront utilisées pour réduire la vulnérabilité au changement climatique.

UN DANGER IMMINENT :
LE POINT DE NON-RETOUR

Alors que le changement climatique est devenu une menace à la sécurité, la communauté internationale est parvenue en 2009 à se mettre d'accord pour reconnaítre le bien-fondé des arguments scientifiques sur le réchauffement climatique. « Vu les effets réels et immédiats du réchauffement climatique, ceux qui récusaient les conséquences du changement climatique mettent la tête dans le sable », a déclaré à la Chronique de l'ONU Raymond Wolfe, Représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations Unies. « Pour la région des Caraïbes, les ouragans présentent un danger clair et présent; ils sont plus intenses et provoquent d'importants dégâts. » En fait, l'ouragan Ivan, qui a frappé l'íle de la Grenade située dans les Caraïbes, a détruit 90 % de l'infrastructure, ce qui représente un coût équivalant à deux fois le produit intérieur brut (PIB) du pays. En plus des ouragans, « nous avons connu un triple tsunami - une crise alimentaire, énergétique et financière - qui a été exacerbé par le changement climatique », a expliqué M. Wolfe.

Un scénario similaire se développe aux Maldives, a reconnu M. Khaleel : « Nous voyons les effets négatifs du changement climatique tous les jours. Personne ne peut nier le contraire. Il suffit de voir le niveau d'érosion des plages. » Pour les petits États insulaires qui ne sont pas protégés par le plateau continental, les récifs coralliens constituent une protection naturelle contre la mer. « Quand le niveau de la mer augmente, les récifs sont endommagés; quand les récifs coralliens sont détruits, notre survie est en jeu. La mort des récifs coralliens, c'est aussi la mort de l'industrie de la pêche et du tourisme », a-t-il souligné.

L'ÉCONOMIE À EFFET DE BOOMERANG
Le tsunami dans l'océan Indien en 2004 a eu des conséquences dramatiques pour l'économie des Maldives; dans notre lutte pour notre survie, nous devons maintenant gérer la crise des réfugiés de l'environnement. Le tsunami qui a fait de nombreux morts dans d'autres pays de l'océan Indien a épargné les habitants des Maldives. En effet, le fait qu'elles ne soient pas entourées d'un plateau continental a empêché l'amplification des vagues et leur déferlement sur les terres, comme cela s'est produit dans les pays voisins comme l'Inde, le Sri Lanka et ailleurs. « Si les Maldives ont été modérément touchées par le tsunami (le bilan est de 120 morts), l'économie a beaucoup souffert de la catastrophe. Nous avons perdu six ports de mer et notre principale source en eau douce. Plus de 68 % de notre PIB s'est envolé en deux minutes. »

Les effets durables du tsunami indiquent à quel point l'élévation du niveau de la mer peut avoir des effets dévastateurs. Après quatre ans d'efforts pour retrouver des conditions de vie décentes, évacuer les populations vivant sur les íles submergées et faire face à une dette élevée par rapport à leur revenu, les Maldives ont dû faire face à une crise alimentaire deux ans plus tard, suivie par la crise financière mondiale. Pourtant, malgré tous ces revers, elles s'adaptent aux codes stricts de l'environnement et se mettent au vert. Le Président Nasheed a déclaré à la Chronique de l'ONU : « Nous investissons dans des projets de capture de carbone et consacrons davantage de ressources aux usines d'énergies renouvelables - les éoliennes et les panneaux solaires - que nous pouvons exploiter. » Expliquant que plus de 30 % des émissions mondiales de carbone sont directement générées par les habitations, le Président a ajouté : « Nous avons mis en vigueur des codes de construction stricts pour réduire l'énergie et améliorer l'efficacité. En un sens, nous développerons un kit de survie qui nous permettra aussi d'atteindre nos objectifs. »

La crise financière mondiale peut compromettre davantage la situation des petits États insulaires. Au premier trimestre de 2009, le tourisme haut de gamme aux Maldives a chuté de 11 %, a indiqué M. Khaleel. Mais certains touristes aisés continueront de se rendre dans leur destination de vacances favorite. Le changement climatique arrêtera les touristes de venir bien avant une crise financière. « Chaque crise a des bons côtés », a-t-il souligné, ajoutant que « le temps nous est compté. Nous devons agir dès maintenant. C'est une question de vie ou de mort ». Malgré le nombre de questions qui restent à régler et une économie dépendant principalement du tourisme, les Maldives prennent les mesures nécessaires pour devenir le premier pays du monde à bilan de carbone neutre d'ici à 2020. « Il n'y a aucune raison pour qu'un autre pays ne fasse pas la même chose. Nous comprenons que le remplacement de l'énergie existante est coûteux. Nous voulons nous concentrer sur ce qui doit être fait, pas sur ce qui ne devrait pas être fait », a-t-il commenté.

LES QUESTIONS HUMANITAIRES
Selon M. Khaleel, les questions humanitaires auxquelles sont confrontées les populations des petits États insulaires qui sont déplacées à l'intérieur de leur pays ou ont été évacuées vers d'autres pays sont ignorées par la communauté internationale. Même avec la menace de la migration massive et les actions intentées contre les plus grands pollueurs de la planète, le problème des réfugiés de l'environnement n'a pas encore été résolu. « La pénurie des sources en eau douce est une question majeure qui crée des tensions et provoque la migration », a-t-il expliqué. En vertu du droit international, les personnes déplacées en raison des changements climatiques ne sont pas reconnues comme un groupe ayant des droits définis ou nécessitant une protection spéciale. Ces personnes n'entrent pas dans la définition de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ne bénéficient donc pas des mêmes droits.

Après un lobbying intense mené par les Maldives, les petites íles ont réalisé un progrès décisif dans le domaine des droits de l'homme en mars 2008 lorsque le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a voté une résolution qui reconnaít que le changement climatique « pose une menace immédiate et lourde de conséquences pour les peuples et les collectivités du monde entier ».

« Il y a donc lieu d'espérer », a jugé M. Christopher, en expliquant que le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés a présenté en mai dernier un rapport à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC) sur l'apatridie des populations vivant sur des terres submergées. Alors que les « réfugiés climatiques » ne bénéficient pas nécessairement des droits des réfugiés, ils sont reconnus au titre de l'article 1 de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides qui définit un apatride comme « une personne qu'aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. Lorsqu'un État cesse d'exister, la nationalité disparaít étant donné que les citoyens perdent tout lien de rattachement avec leur État ». La question est alors de déterminer dans quelle mesure le changement climatique affecte le statut d'État. LA CONFRONTATION DIPLOMATIQUE
De retour à New York, les négociateurs des petits États insulaires qui attendent de plus en plus des pays industriels qu'ils montrent l'exemple se rendent compte que l'attention des pays développés est principalement tournée vers la Chine et l'Inde. Comme les grandes puissances économiques de l'Est, le Brésil occupe le troisième rang dans les émissions de carbone dans le monde en développement et a les mêmes préoccupations que la Chine et l'Inde en ce qui concerne les négociations sur les changements climatiques. Paulo Chiarelli, Premier Secrétaire à la mission permanente du Brésil à New York a dit à la Chronique de l'ONU que «le Brésil a atténué les changements climatiques en investissant beaucoup dans les sources renouvelables d'énergie, comme l'éthanol. Nous pouvons tenir lieu d'exemple et montrer aux autres pays comment créer une économie à faibles émissions de carbone. Mais pour y parvenir, il faut que les pays développés apportent leur appui financier et technologique». Et c'est précisément sur ces questions que les négociations sont au point mort. Singapour, qui est membre d'oasis, se dit préoccupé par les questions fondamentales qui touchent les PEID. L'ambassadeur du Brésil, M. Vanu Gopala Menon, Représentant permanent de ce pays auprès des Nations Unies, a dit à la Chronique de l'ONU : «Nous pensons que le fardeau le plus lourd devrait être supporté par les pays qui ont été les plus grands pollueurs. Les pays développés devraient en particulier aider les États en développement, surtout les petits États insulaires.» Avant de faire des concessions, les pays développés veulent des engagements fermes de la part des pays en développement. Mais «si vous voulez que les pays en développement emboítent le pas, il faut leur apporter une aide financière et technologique. Nous ne voulons pas d'une situation où vous (les pays développés) mettez au point la technologie et l'envoyez dans les pays en développement pour qu'ils l'achètent et leur demandez de se mettre au normes», a-t-il souligné.

Alors que la communauté internationale a pris des engagements sur les changements climatiques, personne n'est encore disposé à donner des chiffres. « Les pays de l'Annexe 1» ne veulent pas s'engager avant de savoir ce que les autres pays font. C'est la raison principale pour laquelle personne n'approuve le texte ni les termes exacts », a-t-il ajouté. Selon lui, les deux séries de négociations qui ont eu lieu à Bonn, en Allemagne, en juin 2008, puis en août 2009, n'auront servi qu'à réduire et à améliorer les 200 pages du projet de texte. Toute contrepartie était absente. Les milliers de crochets qui ont été mis pour signifier un point de désaccord n'ont pas été enlevés.

L'Alliance des petits États insulaires pense que les pays de l'Annexe 1 ne peuvent se laisser guider par l'opportunisme lorsqu'ils négocient sur les changements climatiques. « Quand cela vous convenait, vous avez pollué la planète pour vous enrichir et renforcer vos économies. Maintenant vous devez montrer l'exemple avant de nous demander de réduire de manière drastique nos émissions », a dit M. Wolfe. De son côté M. Jumeau s'interroge : «Mais qu'est-ce qu'on nous raconte? Présenter les pays pauvres comme des fautifs est vraiment déplorable. On ne considère tout simplement pas l'Inde et la Chine dans la même perspective. La pollution par habitant dans ces deux pays est assez peu importante. Quelle est l'empreinte carbone d'un Chinois par rapport à un Américain ou un autre ressortissant d'un pays du Nord?»

M. Jumeau a poursuivi en expliquant comment les pays du Nord utilisent les chiffres par habitant quand cela les arrange le plus, en particulier lorsque les chiffres sont contre eux. L'un des problèmes qui se posent pour les petits États insulaires lorsqu'on utilise les chiffres par habitant est que beaucoup accèdent au statut de pays à revenu moyen alors qu'ils demeurent les plus vulnérables aux changements climatiques. Ils perdront de nombreux avantages, ce qui affaiblira leur capacité d'adaptation à l'évolution du climat. «Nous allons accéder au statut de pays à revenu moyen en janvier 2010, mais cela ne réduit pas notre vulnérabilité. En fait, cela aggrave encore les choses», a souligné M. Khaleel.

Dans un entretien à la Chronique de l'ONU, l'ambassadeur du Danemark, Carsten Staur, Représentant permanent de ce pays auprès des Nations Unies, s'explique : «Bien sûr, le problème a été créé par les pays industrialisés. On demande maintenant que tout le monde participe à sa résolution. Il s'agit certes d'une tâche difficile. D'un autre côté, même si les pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) cessaient d'émettre du CO2, nous ne pourrions pas limiter la hausse des températures à 2 °C. Les pays en développement et les économies émergentes doivent faire partie de la solution, avec notre soutien, bien entendu.»

Mais les pays en développement abordent le changement climatique selon le principe des « responsabilités communes mais différenciées », qui sert de base à la CNUCC et reconnaít les différences dans les contributions passées des pays développés et des pays en développement aux problèmes environnementaux mondiaux. «Si vous êtes en mesure de faire quelque chose, montrez l'exemple. Ce sont les pays occidentaux qui ont les moyens et les capacités», a indiqué M. Jumeau. Que penseriez-vous s'ils retournaient l'argument des pays développés et disaient : «Puisque nous sommes les pays les moins pollueurs, nous devrions avoir le moins de responsabilités.»

L'ASPECT CRUCIAL DE LA MONDIALISATION
Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a dit que nous vivions des «crises multiples» où la hausse du prix du pétrole et des denrées alimentaires, la crise financière et la crise de la grippe réduisent notre capacité à nous protéger contre les changements climatiques. Mais il n'y a rien d'inhérent aux politiques mondiales, aux technologies ou à la disponibilité des ressources mondiales qui puisse empêcher les crises sociales et écologiques résultant des changements climatiques, indique Jeffrey Sachs dans son ouvrage Common Wealth. Selon l'auteur, c'est le manque de coopération au niveau mondial qui empêche de parvenir à un accord de fond. L'auteur écrit : «Le paradoxe d'une économie mondiale unifiée et d'une société mondiale divisée pose la plus grande menace à la planète car il rend impossible la coopération nécessaire pour résoudre les problèmes qui subsistent.»

Le changement climatique est l'exemple le plus évident de la mondialisation rapide, selon Caleb Christopher. «C'est une question très complexe, la question probablement la plus difficile de notre temps. La coopération mondiale est nécessaire pour pouvoir gérer efficacement ces problèmes», a-t-il estimé. Dans son discours liminaire à la Fédération mondiale des Associations pour les Nations Unies, le Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a souligné que «nous avons moins de dix ans pour enrayer la hausse des émissions de gaz à effet de serre si nous voulons éviter des conséquences catastrophiques pour les êtres humains et la planète».

LE PARADIS APRÈS L'EFFONDREMENT
Au lendemain de la crise financière et de la récession mondiale actuelle, « le changement climatique exacerbe les menaces », a dit M. Staur à la Chronique de l'ONU, ajoutant que «les dépenses à engager pour développer une économie à faibles émissions de carbone nécessitera l'engagement de tous les pays. Mais ce sera aussi une occasion de définir une nouvelle trajectoire de croissance pour l'avenir».

Les petits États insulaires n'ont pas d'autre choix que de s'engager à conclure un accord. Bon nombre de PEID importent 80 à 90% des produits qu'ils consomment, n'ont pas suffisamment de terres pour parvenir à l'autosuffisance agricole, sont même plus exposés aux chocs mondiaux et n'ont pas le luxe d'injecter des millions dans leur économie. «La crise financière a affaibli notre résistance et notre capacité à résoudre les questions liées aux changements climatiques. À cette étape cruciale de leur survie, les petits États insulaires n'ont plus la capacité d'organiser les évacuations humanitaires, de reconstruire leur économie et de s'attaquer en même temps à un nouveau champ de bataille créé par l'élévation du niveau de la mer», a souligné M. Jumeau. M. Christopher a expliqué que l'élévation du niveau de la mer créerait des incertitudes pour de nombreuses régions autres que les íles et les États côtiers. Un grand nombre de pays connaítront un changement dans leurs limites des zones marines, qui pourrait entraíner des conflits territoriaux liés aux ressources de la mer et aux droits d'accès à ces ressources. Même si les PEID érigeaient des murs océaniques pour protéger leurs íles contre les vagues, ils ne seraient toujours pas en mesure de s'adapter aux émissions mondiales de carbone avant d'être engloutis par la mer.

NÉGOCIER UN KIT DE SURVIE
Les dirigeants de l'Alliance disent qu'ils n'ont pas les moyens de pression géopolitique et économique que d'autres États Membres influents apportent à la table de négociations. M. Jumeau s'interroge : «Quels sont nos points forts? Nous avons les destinations de vacances. Mais si vous en perdez une, vous en trouverez bien une autre. Quoi d'autre ? Le thon. Il disparaítra probablement avant nous de toute façon.» C'est pourquoi AOSIS insiste pour le monde ait l'obligation de veiller à ce qu'«aucune íle ne soit laissée de côté». Après les négociations, si la proposition de l'Alliance est prise en compte, la tâche immédiate sera de limiter la hausse des températures en fixant des objectifs à court et à moyen termes à moins de 1,5 °C; pour le long terme, il faudra amorcer une transition vers une croissance économique durable à faibles émissions de carbone.

En attendant, les pays de l'Alliance des petits États insulaires approchent du point de non-retour. «C'est la montagne que nous escaladons. Nous n'avons pas peur. Les accords ne seront pas parfaits, mais nous pouvons parvenir au meilleur accord possible», a considéré Selvin Hart, Premier Secrétaire à la Mission permanente de la Barbade auprès des Nations Unies. « Mais si vous écoutez les PEID sur les changements climatiques, vous aurez le meilleur accord possible. En garantissant l'existence des petits États insulaires, vous sauvez le monde entire.