La Déclaration adoptée le 24 septembre 2012 par l'Assemblée générale des Nations Unies lors de la Réunion de haut niveau sur l'état de droit aux niveaux national et international a réaffirmé que « les droits de l'homme, l'état de droit et la démocratie sont interdépendants, se renforcent mutuellement et font partie des valeurs et des principes fondamentaux, universels et indissociables de l'Organisation des Nations Unies1 ». En effet, l'action d'un gouvernement pour répondre aux intérêts et aux besoins de la majorité des citoyens est étroitement liée à la capacité des institutions et des processus démocratiques à renforcer les droits, l'égalité et la responsabilité.

Si l'état de droit est considéré non seulement comme un instrument du gouvernement, mais comme un principe auquel toute la société, y compris le gouvernement, est liée, il est fondamental pour faire progresser la démocratie. Le renforcement de l'état de droit ne concerne pas seulement l'application des normes et des procédures. Son rôle est également crucial pour protéger les droits et promouvoir l'inclusion, inscrivant ainsi la protection des droits dans le contexte plus large du développement humain.

Une caractéristique commune, à la fois de la démocratie et de l'état de droit, est qu'une démarche purement institutionnelle ne permet pas de déterminer les résultats réels des processus et des procédures, même si ces dernières sont correctes d'un point de vue formel. Lorsqu'on examine le lien entre état de droit et démocratie, il faut faire une distinction fondamentale entre « l'état de droit », où la loi est un instrument du gouvernement et le gouvernement est considéré comme étant au-dessus de la loi, et « l'état de droit » qui implique que tous les membres de la société sont soumis à la loi, y compris le gouvernement. Pour l'essentiel, les limites constitutionnelles à l'exercice du pouvoir, un aspect essentiel de la démocratie, exige l'adhérence à l'état de droit.

Un autre aspect essentiel du lien entre état de droit et démocratie est la reconnaissance que ces deux éléments peuvent être des processus convergents qui se renforcent mutuellement lorsque l'état de droit est défini en termes généraux plutôt qu'en termes étroits, formels et exclusivement procéduraux. Le lien est fort lorsque l'état de droit est conçu dans sa relation avec des réalisations importantes, comme la justice et la gouvernance démocratique. Cette distinction est souvent caractérisée par l'opposition entre les conceptions « formelles » et « substantielles » de l'état de droit.

Les notions formelles et substantielles sont certainement liées et des intellectuels s'élèvent contre cette dichotomie, suggérant que, dans les situations de changement social et politique, à la fois les conceptions formelles et substantielles de l'état de droit peuvent être « modestes » ou « exigeantes ». Toutefois, en termes généraux, la conception modeste met l'accent sur les procédures par lesquelles les règles sont formulées et appliquées, alors que la conception exigeante vise à protéger les droits et à les formuler dans une problématique plus large du développement humain.

Une conception exigeante définit l'état de droit comme celui dans lequel sont incorporés des éléments, comme une constitution forte, un système électoral efficace, un engagement à assurer l'égalité des sexes, une législation pour la protection des minorités et d'autres groupes vulnérables et une société civile forte. L'état de droit, défendu par un appareil judiciaire indépendant, joue un rôle crucial en assurant le respect des droits civils et politiques ainsi que l'égalité et la dignité de tous les citoyens. Il permet aussi de protéger le fonctionnement efficace des divers organismes qui s'acquittent de leur responsabilité électorale, sociétale et horizontale contre les abus de pouvoir d'acteurs étatiques.

La conception exigeante de l'état de droit diffère de la conception formelle qui met l'accent sur les procédures par lesquelles les règles sont formulées et appliquées. Des exemples de la conception exigeante de l'état de droit ont été donnés dans les rapports sur l'état de droit de 2004 du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. M. Annan a souligné que pour l'Organisation l'état de droit est :
[.] un principe de gouvernance en vertu duquel l'ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l'État lui-même, ont à répondre de l'observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et les normes internationales en matière de droits de l'homme. Il implique, d'autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la primauté du droit, de l'égalité devant la loi, de la responsabilité au regard de la loi, de l'équité dans l'application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, du refus de l'arbitraire et de la transparence des procédures et des processus législatifs2.

En se référant à cette définition dans sa note d'orientation de 2009 sur la démocratie, le Secrétaire général Ban Ki-moon a ajouté que l'ONU fournit une expertise et un appui au « développement de la législation et au renforcement des institutions législatives, exécutives et judiciaires en vertu de ces principes pour assurer qu'elles ont la capacité, les ressources et l'indépendance nécessaires pour jouer leurs rôles respectifs3 ».

Au cours des années, l'ONU a promu l'état de droit au niveau international en renforçant et en développant un cadre international de normes et en établissant des cours de justice et des tribunaux internationaux et hybrides ainsi que des mécanismes non judiciaires. Elle a amélioré son cadre d'engagement dans le domaine de l'état de droit au niveau national par le biais d'un appui à l'élaboration des constitutions; au cadre juridique national ; aux institutions de justice, de gouvernance, de sécurité et des droits de l'homme; à la justice transitionnelle et au renforcement de la société civile4. La note d'orientation du Secrétaire général concernant la stratégie des Nations Unies pour l'assistance aux pays en matière d'état de droit de 2008 a présenté des principes fondamentaux et un cadre pour guider les activités menées par l'Organisation en matière d'état de droit au niveau national. Sa note d'orientation de 2009 sur l'assistance aux processus d'élaboration des constitutions a présenté les éléments constitutifs des processus d'élaboration des constitutions et reconnu que ces processus sont un élément central des transitions démocratiques.

Un exemple de l'importance de l'état de droit pour l'instauration de la démocratie est le fait que l'état de droit est un principe fondamental auquel adhèrent la plupart des démocraties modernes. La constitution contient la loi fondamentale et, le plus souvent, la loi suprême de l'État, et l'état de droit dicte l'application de ces principes au-dessus de toutes les autres lois. Les constitutions préservent également leurs valeurs et leurs principes fondamentaux en rendant le processus d'amendement contraignant. Certaines constitutions assurent la permanence de certains principes et de certaines valeurs en interdisant les amendements. L'appareil judiciaire, qui applique la loi aux cas individuels, agit comme le garant de l'état de droit. Un corps judiciaire indépendant et efficace est donc une condition préalable à l'état de droit qui nécessite un système juridique équitable, le droit à un procès équitable et l'accès à la justice5.

Les constitutions font bien plus qu'établir un gouvernement et réglementer les relations entre les citoyens. Dans de nombreux pays, elles sont aussi devenues des outils de gestion des crises. Les avantages des constitutions conçues pour les États touchés par un conflit et profondément divisés s'articulent sur leurs capacités à réconcilier les groupes, à désamorcer les griefs, à éviter un glissement vers une polarisation accrue de la société et à prévenir une détérioration du conflit. Dans ce domaine également, l'appropriation nationale est d'une importance cruciale. Le choix du processus devrait être laissé au soin de ceux qui élaborent les constitutions nationales qui peuvent s'imposer dans le contexte local. Les constitutions élaborées pour répondre aux exigences en matière de gestion des conflits ont eu un certain succès. Mais d'autres facteurs, comme les inégalités économiques, jouent un rôle de plus en plus important dans les nouvelles demandes d'élaboration des constitutions.

La justice électorale est un autre exemple des liens entre démocratie et état de droit. Elle garantit que chaque action, chaque procédure et chaque décision liée au processus électoral est conforme à la loi et que la jouissance des droits électoraux est protégée et réinstaurée, donnant aux citoyens qui estiment que leurs droits électoraux ont été bafoués les moyens de porter plainte, d'avoir un procès et de recevoir un acte d'accusation. Un système de justice électorale est un instrument essentiel de l'état de droit et la garantie ultime du respect du principe démocratique d'organiser des élections libres, justes et transparentes6.

Comme cela est indiqué dans un rapport récent7 de la Commission mondiale sur la démocratie, sur la sécurité, les élections menées avec intégrité - fondées sur l'égalité, la transparence et la responsabilité - sont cruciales pour les droits de l'homme et les principes démocratiques, car elles donnent corps aux doits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et autres instruments internationaux et pactes relatifs aux droits de l'homme8. L'un des principaux défis aux élections menées avec intégrité consiste à instaurer l'état de droit pour étayer les griefs en matière de droits de l'homme et de justice électorale afin que les citoyens, y compris les concurrents et les opposants politiques, aient un recours juridique pour exercer leurs droits à des élections9.

Pendant les négociations sur la Déclaration de l'Assemblée générale sur l'état de droit, plusieurs États Membres ont souligné la nécessité pour la communauté internationale d'aider et de soutenir, à leur demande, les pays sortant de conflits ou en voie de démocratisation qui peuvent avoir des besoins particuliers pour remédier aux séquelles des violations des droits de l'homme pendant leur transition et progresser vers un système de gouvernance démocratique et l'état de droit. Le concept a finalement été reformulé dans le paragraphe 18 en mentionnant seulement les besoins particuliers pendant les transitions sans faire mention de la démocratisation. Toutefois, ce débat a montré une prise de conscience de l'importance de tirer parti de l'expérience acquise au cours des 30 dernières années, en particulier des pays du Sud, des transitions multiples ou souvent simultanées - de la guerre à la paix, des économies dirigées à des économies de marché, des systèmes autocratiques à des systèmes démocratiques - afin de soutenir les processus de démocratisation partant de la base.

Le paragraphe 7 de la Déclaration de l'Assemblée générale sur l'état de droit a appelé à prendre en compte l'état de droit dans le programme international de développement après 2015. Le débat en cours sur les perspectives après 2015 offre une occasion unique de souligner l'interdépendance entre la démocratie, les droits de l'homme et l'état de droit. Pour assurer la responsabilisation nationale au sein des cadres d'appropriation démocratique, il est essentiel de prendre en compte à la fois les dimensions de la démocratie et de l'état de droit de la prochaine génération d'Objectifs du Millénaire pour le développement/ Objectifs pour le développement durable et l'importance potentielle d'un objectif volontaire sur la démocratie, les droits de l'homme et l'état de droit pour aider à stimuler le programme de développement.

Notes

1 - Voir para. 5 dans la « Déclaration de la Réunion de haut niveau de l'Assemblée générale sur l'état de droit aux niveaux national et international » (A/67/L.1), 19 septembre 2012, disponible à https://daccess-ods.un.org/tmp/6170018.31531525.html.

2 - L'« état de droit et la justice transitionnelle dans les sociétés en situation de conflit ou d'après conflit », 23 août 2004 (S/2004/616), para. 6, extrait de « Rendre la justice : programme d'action visant à renforcer l'état de droit aux niveaux national et international », 16 mars 2012 (A/66/749), para. 2, disponible à https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/267/02/PDF/N1226702.pdf?OpenElement.

3 - Voir la note d'orientation du Secrétaire général sur la démocratie, disponible à http://www.un.org/democracyfund/Docs/UNSG%20Guidance%20Note%20on%20Democ....

4 - « Le renforcement et la coordination de l'action des Nations Unies dans le domaine de l'état de droit (A/66/133), 8 août 2011.

5 - International IDEA, A Practical Guide to Constitution Building: Principles and Cross-cutting Themes, Stockholm 2012, p. 17-18, disponible à http://www.idea.int/publications/pgcb/.

6 - International IDEA, Electoral Justice : The International IDEA Handbook, Stockholm 2010, p. 9, disponible à http://www.idea.int/publications/electoral_justice/.

7 - Commission mondiale sur les élections, la démocratie et la sécurité Renforcer la démocratie : une stratégie pour améliorer l'intégrité des élections dans le monde, une initiative conjointe de la Kofi Annan Foundation et International IDEA, septembre 2012, disponible à http://www.global-commission.org/sites/global-commission.org/files/Deepe....

8 - Les élections menées avec intégrité sont importantes à bien d'autres égards : l'autonomisation des femmes, la lutte contre la corruption, la fourniture de services en faveur des pauvres, l'amélioration de la gouvernance et la fin des guerres civiles.

9 - D'autres défis sont : la création d'organismes électoraux professionnels, compétents; la création d'institutions et de normes de la concurrence multipartite et la division du pouvoir; l'élimination des obstacles à la participation politique de tous les citoyens; et la réglementation des finances politiques incontrôlées, non divulguées et opaques.

 

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