16 novembre 2010

La région de la mer Noire est considérée comme le berceau de la civilisation. C'est dans cette région que naissent les légendes de Jason et des Argonautes et de la quête de la Toison d'or et que se situe le récit biblique de l'Arche de Noé. Athènes, Istanbul, Odessa, Sébastopol, Troie et Yalta sont des noms de cette région parmi d'autres qui sont entrés dans l'histoire.
L'idée de créer des universités dans l'Antiquité comme lieu de débats et d'échanges d'idées sur des questions particulièrement préoccupantes pour les individus et les communautés a été conçue et développée dans la région de la mer Noire.
Des croisades à la Horde d'or, en passant par l'effondrement de l'Union soviétique, la région a connu de nombreux changements religieux et politiques. En raison des innombrables conquêtes que les peuples de la région ont subies au cours des siècles, la région est aujourd'hui un mélange remarquable de cultures et de religions.
Riche en pétrole, en gaz et en ressources minières, bénéficiant d'excellentes conditions pour l'agriculture et située à la croisée des axes de transport est-ouest, nord-sud, la région de la mer Noire possède un potentiel économique important. Selon la Banque mondiale, la région, qui compte 336 millions d'habitants et couvre une superficie de 19 millions de km2, a affiché en 2006 un taux de croissance de 7,3 %, générant un produit intérieur brut de 1,3 milliard de dollars.
Toutefois, la région continue de pâtir de conflits non résolus en Transnistrie, dans le Haut-Karabakh, en Ossétie et au Kosovo.
L'industrialisation, l'agriculture extensive et intensive et l'explosion démographique ont entraíné la dégradation irréversible des sols, la surpêche, l'eutrophisation et la pollution de la mer Noire causée par le rejet de substances chimiques et radioactives. La mer risque donc de devenir un écosystème toxique et gravement menacé, une catastrophe écologique qui a peu d'équivalent.
Afin de relever ces défis, le Réseau des universités de la mer Noire a été créé en 1998 lors de la deuxième Conférence des Recteurs de la région de la mer Noire suite à une recommandation de l'Assemblée parlementaire pour la coopération économique de la mer Noire (PABSEC).
La communauté universitaire de la région s'est réjouie de cette initiative. Le Réseau compte désormais 117 universités représentant les 12 pays membres de la Coopération économique de la mer Noir suivants : Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bulgarie, Fédération de Russie, Géorgie, Grèce, Moldova, Roumanie, Serbie, Turquie et Ukraine.
Depuis sa création, il y a douze ans, le Réseau a favorisé la mobilité des étudiants et du personnel universitaire, organisé des réunions scientifiques, des universités d'été et des ateliers dans différentes disciplines. Aujourd'hui, c'est une plate-forme pour la coopération, les échanges professionnels et les relations humaines durables.
Les piliers fondamentaux du Réseau des universités de la mer Noire sont :

  • La participation active au développement durable de la région.
  • La promotion du rôle des universités qui sont devenues des moteurs actifs du développement social, économique et culturel.
  • La participation des universités à la recherche scientifique, au transfert des connaissances et à l'innovation afin de faciliter l'émergence des secteurs économiques à valeur élevée.
  • La contribution directe à la sécurité énergétique et à l'intégration des sources d'énergie renouvelables.
  • La recherche de solutions innovantes pour favoriser la cohésion sociale et la prévention des conflits dans la région.

Je présenterai ici quelques réalisations auxquelles le Réseau a apporté sa contribution.
La région de la mer Noire a connu des catastrophes écologiques comme Tchernobyl, a été polluée par les déversements de tonnes de carburants dans la mer d'Azov et a été défigurée par la construction de complexes industriels qui a transformé le paysage en un triste décor.
Depuis sa création, le Réseau s'est concentré sur le développement durable de la région. La Déclaration de Kiev des recteurs d'universités pour le développement durable dans la région de la mer Noire, signée lors du Congrès du Réseau en 2008, dit : « Nous pensons qu'il faut prendre des mesures urgentes pour traiter ces problèmes fondamentaux et inverser les tendances. Des politiques démographiques équilibrées, l'adoption de technologies industrielles et agricoles sans risque pour l'environnement, le reboisement et la restauration écologique sont des éléments cruciaux pour construire un avenir équitable et durable dans notre région qui soit en harmonie avec la nature. Les universités ont un rôle majeur à jouer dans l'éducation, la recherche, l'élaboration des politiques et l'échange d'informations nécessaires pour parvenir à la réalisation de ces objectifs. »
Le message a été entendu. De nombreuses universités de la région ont créé de nouveaux programmes sur le développement durable pour les étudiants en année de licence, de maítrise et de doctorat ainsi que des programmes sur l'environnement, incitant une participation plus active des étudiants. Une nouvelle coopération a été récemment lancée avec le programme universitaire de la région baltique, un réseau universitaire régional, afin de créer des synergies entre les régions de la mer Baltique et de la mer Noire dans le domaine du développement durable.
Le deuxième exemple des activités du Réseau est la préservation des langues des minorités.
Au cours des siècles d'affrontements entre les puissances militaires et politiques dans la région de la mer Noire, les communautés locales ont été déplacées, divisées ou leurs droits politiques, économiques ou religieux ont été remis en cause.
Un exemple typique est celui des Tatars de Crimée dont le déplacement a débuté à la fin du XVIIe siècle. La période la plus dramatique fut sous Staline qui donna l'ordre le 18 mai 1944 de jeter femmes, enfants et handicapés dans des camions, de les transporter à la gare la plus proche et de les déporter vers l'Asie centrale, l'Oural et autres régions lointaines de l'Union soviétique. Après 55 ans, les survivants ont réussi à obtenir le droit de retourner dans leur pays natal. Mais coïncidant avec l'effondrement de l'ex-Union soviétique et sans aucun appui politique, juridique ou économique, la réintégration des Tatars de Crimée a marqué le début de tensions dans la région qui pourraient être explosives.
Le Réseau des universités de la mer Noire a examiné cette question avec attention. L'Université nationale de Tauride et l'Université technique et pédagogique de Crimée, en coopération avec l'Université nationale technique d'Ukraine, ont créé des modèles quantitatifs et offrent aux décideurs ainsi qu'à la société civile des outils d'analyse et de simulation des résultats politiques, juridiques ou environnementaux dans la sous-région de Crimée.
Un groupe de travail de l'Université technique et pédagogique de Crimée consacré à la réforme du tatar de Crimée travaille actuellement avec l'Université Ovidius de Constanta en Roumanie et l'Université de Sakarya en Turquie. En outre, le Réseau, en coopération avec le Conseil européen et la Commission européenne, a organisé en décembre 2008 à Bucarest une conférence internationale sur la protection des minorités et des langues régionales pour évaluer l'état de la mise en œuvre de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. À titre d'étude de cas, le statut du tatar de Crimée, parlé en Bulgarie, en Roumanie, dans la Fédération de Russie, en Turquie, en Ukraine ainsi que dans plusieurs autres pays, a été évalué et un rapport a été présenté lors du premier Congrès des Tatars de Crimée qui s'est tenu à Simferopol en 2009. L'Université technique et pédagogique de Crimée ainsi que d'autres organisations ont ensuite créé un comité spécial pour entreprendre une réforme et remplacer l'alphabet cyrillique du tatar de Crimée par l'alphabet latin, et le premier projet de réforme proposé a été distribué aux universités membres du Réseau en Azerbaïdjan, en Roumanie, dans la Fédération de Russie, en Turquie et en Ukraine. Parallèlement, un programme a été créé par l'Université technique et pédagogique de Crimée et l'Université Ovidius de Constanta pour enseigner le tatar de Crimée en Roumanie et en Ukraine avec le soutien des ministres de l'éducation de ces deux pays. Dans le cadre de cet accord, des ateliers, des séminaires, des cours de formation, des débats sur les programmes ont été organisés et des techniques de planification des cours et pédagogiques ont été enseignées en utilisant les technologies de l'information et de la communication ainsi qu'un site web dédié.
Récemment, un groupe composé de quatre enseignants et de trente élèves tatars de Roumanie, âgés de huit à seize ans, ont participé à une rencontre estivale à Staryi Krym à laquelle ont également participé leurs collègues de Crimée et d'Ukraine. Coordonnée par l'Université de Crimée, cette rencontre avait pour but de tester le programme scolaire final, les programmes et les méthodes d'enseignement qui seront utilisées comme référence pour l'enseignement du tatar de Crimée en Roumanie et en Ukraine.
Le troisième exemple d'activités menées par le Réseau des universités de la mer Noire se situe dans le domaine de la sécurité énergétique et des sources d'énergie renouvelable. La région de la mer Noire possède d'importantes ressources énergétiques et est une plate-forme de transit importante pour le trafic pétrolier et gazier en direction des pays de l'Union européenne.
Les problèmes environnementaux dans la région ont cependant un impact direct sur l'exploitation des sources d'énergie renouvelable qui ne peut être menée à bien qu'avec une coopération transfrontalière. Or, en raison des conflits et des tensions entre les différentes communautés de la région concernant les projets d'investissement, notamment l'exploitation des sources d'énergie renouvelable, la coopération est pratiquement impossible.
Pour remédier à cette situation, le Réseau des universités de la mer Noire, avec l'appui du programme scientifique de l'OTAN, de Duke University aux États-Unis et d'un groupe important de scientifiques issus de diverses universités, dans la région de la mer Noire et du monde entier, ont créé en 1998 le Centre for Advanced Engineering Sciences (CAES) afin d'échanger des idées et de lancer des projets de recherche communs. En 2006, lors du Congrès du Réseau qui s'est tenu à Varna, en Bulgarie, l'accent a été mis sur le rôle des universités dans la recherche de solutions. Dans la foulée, le Réseau a créé plusieurs partenariats : un partenariat a été mis en place avec le Centre international pour la technologie de l'utilisation de l'énergie de l'hydrogène, un projet de l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel à Istanbul visant à nettoyer les fleuves et les terres humides; un autre avec le Centre commun de recherche de la Commission européenne à Petten, aux Pays-Bas, pour préparer des cours d'été régionaux consacrés aux aspects fondamentaux de la technologie des piles à combustible; et également avec l'Agence nationale italienne pour les nouvelles technologies, l'énergie et le développement économique durable à Rome pour préparer une formation multimédia sur la gestion de l'énergie et les sources d'énergie renouvelable.
Dans le cadre d'un projet exploratoire, cinq universités membres, l'Université technique d'Istanbul, l'Université de Tauride, l'Université technique de Moldova, l'Université technique de Varna et l'Université Ovidius de Constanta ont décidé d'harmoniser leurs programmes de maítrise en gestion de l'énergie et de préparer un programme d'enseignement universitaire régional commun.
Même si l'objectif principal du Réseau des universités de la mer Noire est la coopération en matière d'éducation, la participation de ses universités membres à la recherche et aux activités liées à l'innovation est tout aussi importante. En 2008, le Centre for Advanced Engineering Sciences a représenté le Réseau dans un projet pilote appelé SUCCESS (Searching Unprecedented Cooperation on Climate and Energy to ensure Sustainability) qui définit les conditions requises pour les futures communautés de la connaissance et de l'innovation, après quoi le CAES a été choisi comme partenaire dans un projet consacré à l'énergie durable mis en œuvre par l'Institut européen d'innovation et de technologie (IET) - InnoEnergy. Le Consortium InnoEnergy, coordonné par l'Institut de technologie de Karlsruhe en Allemagne, rassemble des universités d'enseignement supérieur, des instituts de recherche et des entreprises d'excellence dans le domaine de l'innovation, et « vise à préparer la voie au développement d'un système énergétique indépendant et durable pour une Europe climatiquement neutre d'ici à 2050 [.] pour faciliter la commercialisation des innovations ».
En 2010, le Réseau des universités de la mer Noire, l'Association des universités eurasiennes et l'Association des universités de la région de la mer Caspienne ont organisé un forum sur l'enseignement supérieur à l'Université d'État de Moscou. Avec plus d'un millier de participants, l'événement a retenu l'attention de la communauté universitaire dans le contexte plus vaste de la région. Les orateurs ont dit que les universités de la région de la mer Noire devaient prendre en compte les demandes sociales de leurs communautés lorsqu'elles envisagent de créer, de développer et de transférer la science et la technologie ainsi que d'aborder les questions culturelles. Les universités devraient également envisager d'apporter leur soutien scientifique et technique au développement culturel, social et économique de leurs communautés. Mais les orateurs ont fait valoir que les universités devaient assumer plus que jamais un rôle de premier plan dans la société et participer activement aux décisions cruciales en proposant des solutions innovantes pour le développement durable et le bien-être de leurs communautés.

 

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