30 décembre 2014

En 1972, face à l’industrialisation rapide, et à la production de richesses qui en découle, la communauté internationale s’est réunie pour la première fois à Stockholm (Suède) pour s’interroger sur la nécessité d’un cadre mondial visant à protéger les ressources naturelles mondiales. Convoqué en tant que Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain (CNUEH), le forum a publié une déclaration proclamant que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures1 ».

De toute évidence, la Déclaration de Stockholm a fait appel à « l’homme » et non pas aux « États », mettant l’accent sur une approche écologique et écocentrique où l’être humain en tant qu’espèce la plus évoluée de la planète a un rôle majeur à jouer en matière de protection de l’environnement. Deux décennies plus tard, en 1992, une deuxième réunion multilatérale, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), qui s’est tenue à Rio de Janeiro (Brésil), a réitéré une approche plus ferme, plus anthropocentrique dans la Déclaration de Rio, indiquant que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature2 ». En fait, lorsque la CNUED s’est réunie, la santé humaine et la richesse avaient progressé dans les pays les plus riches, tout comme la faim, la pauvreté et les maladies dans de vastes régions des pays en développement et dans les pays les moins avancés. En 1987, pour concilier les besoins en matière de développement et la protection de l’environnement, la Commission Bruntland a inventé le terme « développement durable » qui a été défini comme « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins3 ».

C’est dans ce contexte que l’on a tenté de comprendre comment la diplomatie multilatérale, par le biais des conférences mondiales4, a montré que la communauté internationale était engagée en faveur du développement durable, en particulier concernant la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. Au moins trois événements ayant contribué à promouvoir le développement durable méritent une attention particulière. Premièrement, les négociations qui ont abouti à l’adoption de la Convention sur la diversité biologique (CDB)5; deuxièmement, les négociations sur le premier traité conclu sous l’égide de la CDB, à savoir le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques en 20006 et, troisièmement, les négociations qui ont abouti à l’adoption du Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques7  ainsi que celles du Protocole de Nagoya en 2010 sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologiques8.

La CDB a été adoptée avec trois objectifs principaux : « la conservation de la biodiversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques9  ». Parmi les questions débattues par les États figuraient les questions suivantes : les principes directeurs et les obligations générales; la juridiction; les éléments de la biodiversité; la relation aux autres traités internationaux; la relation au droit coutumier; la responsabilité et la réparation; la biotechnologie et l’utilisation des ressources génétiques; les droits de la propriété intellectuelle; les dispositions financières; et d’autres questions considérées par les pays développés comme litigieuses10. Le mandat de la CDB était si vaste que lors de l’examen des préoccupations concernant la biodiversité, un problème plus ardu s’est posé, celui du conflit entre certaines règles du commerce international et les mandats découlant des traités internationaux et des procédures existants.

Les négociations de la CDB, qui ont été longues et interminables, obligeant souvent les participants à passer des nuits blanches, ont créé un sentiment de méfiance entre les pays développés et ceux en développement, rappelant les débats à l’Assemblée générale des Nations Unies dans les années 1970 concernant la souveraineté permanente sur les ressources naturelles et la demande d’un nouvel ordre économique international11. Le monde en développement, doté d’environnements très divers, considérait que le droit à la souveraineté sur les ressources naturelles devait être préservé et que toute discussion sur la conservation ou l’utilisation durable des ressources financières devait donner lieu à des garanties appropriées sous la forme de ressources financières et de transfert des technologies afin d’aider les pays les plus pauvres à supporter les coûts supplémentaires engagés pendant la mise en œuvre de ces mesures de conservation. Ces demandes ont été reprises dans l’Action 2112  qui a appelé les pays développés à fournir « des ressources financières nouvelles et supplémentaires » en plus de leurs contributions aux pays en développement et aux pays les moins avancés au titre de l’aide publique au développement (APD).

Le premier instrument à voir le jour a été le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques. Le principe directeur et fondamental a été le principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. L’objectif du Protocole est de « contribuer à assurer un degré de protection adéquat pour le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plus précisément l’accent sur les mouvements transfrontières13 ». Les négociations, similaires aux débats de la CDB, ont fait l’objet de discussions interminables et animées qui ont divisé la communauté internationale en deux groupes : d’un côté, le « Groupe de Miami », comprenant l’Argentine, l’Australie, le Canada, le Chili, les États-Unis et l’Uruguay et, de l’autre, le « Groupe ayant une position commune », comprenant les membres du G77 et de la Chine. Bien que le Protocole ait fourni de nouveaux éléments importants de la procédure d’accord préalable, de la gestion des risques et de leur évaluation, un nouveau problème s’est posé lorsque les pays développés ont refusé d’inclure « la responsabilité et la réparation ». Alors que ces derniers sont restés solidaires de leurs industries biotechnologiques nationales qui ne souhaitaient pas de disposition contraignante sur la responsabilité pour les dégâts causés par les organismes vivants modifiés, les pays en développement et les pays les moins avancés ont monté le ton et déclaré qu’il n’y aurait pas de protocole sans l’existence d’une responsabilité.

Cette question litigieuse de la responsabilité et de la réparation a entraîné la négociation d’un instrument distinct : le Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques (2010)14. Les négociations ont débuté en 2004 avec la création du Groupe de travail spécial à composition non limitée d’experts juridiques et techniques et se sont terminées en 2010 par l’adoption du Protocole additionnel. Ces six années ont été consacrées à l’examen de questions ayant fait l’objet de négociations très complexes et souvent frustrantes : les dommages (définition, seuil, nature, étendue et évaluation), les causes, la norme de responsabilité, l’imputation de la responsabilité, les mécanismes de garantie financière, la responsabilité de l’État (qui, plus tard, a été abandonnée au profit de la responsabilité principale de l’« opérateur »)  le règlement des revendications, les limites (durée et montant), la relation avec les non-Parties, l’habilitation à présenter des réclamations et le choix d’instrument. Un grand nombre de ces questions ont été détaillés dès le début, car peu d’instruments dans le domaine du droit international traitaient de la responsabilité et de la réparation causées par la biodiversité15. Si, jusque-là, aucun cas de dommage causé par des organismes vivants modifiés n’avait été signalé, les pays en développement n’ayant pas de loi nationale sur la biodiversité ne pouvaient qu’espérer un accord contraignant au niveau international. Alors que la communauté internationale peut se féliciter d’avoir adopté le premier traité qui présente une définition des dommages causés à la biodiversité, le texte final est un compromis assorti d’objectifs revus à la baisse, avec un double mécanisme de responsabilité et de réparation, une approche administrative préconisée par l’Union européenne et les pays développés. Une seule disposition sur la responsabilité civile concerne les demandes des pays en développement.

Le dernier traité relatif à la biodiversité est le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage équitable des avantages découlant de leur utilisation (APA). Les questions les plus importantes étaient l’accès, le partage juste et équitable et le respect des dispositions, désignés souvent comme l’« ABC du Protocole de Nagoya sur l’APA16 ». En tant que fournisseurs de ressources biologiques, les pays en développement voulaient la mise en place d’un mécanisme de partage juste et équitable des avantages et un régime de contrôle efficace s’appliquant au biopiratage des ressources génétiques, tandis que les pays développés mettaient l’accent sur les normes d’accès, considérant que l’accès devait d’abord être garanti dans des conditions équitables, sans discrimination. Ils voulaient aussi un suivi des contrats privés existants régulant l’APA relatifs à l’utilisation commerciale de la biotechnologie.

En conclusion, il est important de comprendre comment la diplomatie de conférence et les régimes de la biodiversité ont contribué à promouvoir le développement durable. Il est clair que ces conférences, en particulier celles qui ont eu lieu à Stockholm (Suède) et à Rio de Janeiro (Brésil), ont contribué à la sensibilisation du public et de la communauté internationale au besoin urgent de préserver les ressources biologiques dans l’intérêt des générations présentes et futures.

La diplomatie de conférence joue un rôle majeur dans l’élaboration des politiques en encourageant la participation de toutes les parties prenantes et la création de lois non contraignantes17. Le Secrétariat de la CDB ainsi que d’autres institutions du système des Nations Unies ont contribué de manière significative à la sensibilisation au problème de la biodiversité au niveau mondial, en réalisant des études et des travaux de recherche et en préparant des documents d’information et des exposés destinés aux gouvernements ainsi qu’à la société civile. La diplomatie de conférence s’emploie aussi à assurer la participation de toutes les parties prenantes aux conférences consacrées à la biodiversité. Bien que les négociations internationales soient conduites par les États, d’autres acteurs comme les États observateurs, les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, l’industrie et la société civile sont désormais sur un pied d’égalité lors de l’adoption et de l’élaboration des traités internationaux. De fait, les leçons tirées par l’industrie biotechnologique ainsi que les études approfondies réalisées par la société civile et des universitaires sur les impacts sociaux et économiques sur les ressources biologiques et la vie des communautés autochtones et locales jouent un rôle crucial dans les négociations.

Les conférences sur la biodiversité ont également contribué au renforcement institutionnel et au développement progressif de la législation internationale en matière d’environnement. Les principes post-Rio et les traités relatifs à la biodiversité ont donné lieu à de nombreuses législations en matière d’environnement aux niveaux international, régional et national fondées sur le principe de précaution, le pays pollueur, la responsabilité et l’indemnisation, le renforcement des capacités, l’équité entre les générations, lesquels ont tous contribué à la justice, à la prospérité et au bien-être humains.

À bien des égards, l’adoption d’un traité ne représente qu’une partie du travail, car le réel défi réside dans sa mise en œuvre efficace au niveau national. Le monde actuel est confronté à une récession économique sans précédent. Les attentes croissantes des populations exercent des pressions considérables sur la gestion des ressources biologiques – les forêts, les zones humides, les fleuves, les océans et l’air. Pour les pays en développement et les pays les moins avancés, l’éradication de la pauvreté et le développement économique et social demeurent la priorité essentielle. Il est impératif que tous les États intègrent les considérations liées à la biodiversité à leurs politiques de développement ainsi qu’à leur stratégie et à leurs plans d’action nationaux en matière de biodiversité. Les objectifs ambitieux d’Aichi pour la biodiversité (2010-2020), adoptés à Nagoya en 2010, demeureront un rêve lointain si les pays développés ne tiennent pas leurs engagements en matière d’accroissement des ressources financières et de développement des technologies plus propres et moins chères pour aider les nations pauvres. Le thème de la Conférence des parties, qui vient de se tenir à Pyeongchang (République de Corée) du 29 septembre au 17 octobre 2014, intitulé « biodiversité et développement durable », était opportun. Il est important que tous les États se montrent à la hauteur en honorant leurs engagements moraux et financiers envers la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. 

Notes

1  Voir le rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, Stockholm (Suède), 5-16 juin 1972 (A/CONF. 48/14/Rev.1).

2  Voir la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, dans le rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro (Brésil), 3-14 juin 1992, annexe I (A/ CONF.151/26 (vol. I)), (août 1992).

3  Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous (Oxford, Oxford University Press, 1987), p. 43.

4  Inis Claude Jr., Swords into Plowshares: The Problems and Progress of International Organization (New York, Random House, 1971), p. 28. L’auteur fait remonter les rudiments de la « diplomatie de conférence » au Congrès de Vienne de 1815 qui, pour la première fois, a donné le ton des discussions sur les « préoccupations communes » des États à un niveau institutionnel. Malgré ses nombreux échecs, on considère que ce Congrès, qui a été suivi par d’autres conférences, a «…contribué davantage à la prise de conscience des problèmes de la collaboration internationale qu’à leur solution, et davantage à l’ouverture de possibilités qu’à leur réalisation ».

5  Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1760, n° 30619, p. 79.

6  Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2226, n° 30619, p. 208.

7  Adopté par la décision BS-V/11 dans son annexe le 15 octobre 2010, UNEP/CBD/BS/COP-MOP/5/17 (29 novembre 2010).

8  Disponible sur le site www.cbd.int/abs.

9  Le texte de la CBD est disponible sur le site http://www.cbd.int/convention/text

10 Melinda Chandler, «The Biodiversity Convention: Selected Issues of Interest to the International Lawyer”, 4 Colorado Journal of International Environmental Law and Policy, vol. 4 (1993), pp. 141 – 176.

11 Mohammed Bedjaoui, Towards a New International Economic Order (Paris, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 1979); R. P. Anand, Confrontation or Cooperation? International Law and Developing Countries (New Delhi, Banyan Publications, 1984; The Hague, Martinus Nijhoff, 1987; deuxième édition révisée, New Hope Publications, 2011).

12 Disponible sur le site  http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?documentid=52.

13 Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2226, n° 30619, pp. 257-258.

14 Pour une excellente analyse des négociations sur le Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques, voir Gurdial Singh Nijar, Sarah Lawson Stopps et Gan Pei Fern, Liability and Redress under the Cartagena Protocol on Biosafety: a Record of the Negotiations for Developing International Rules, vol. 1 (Kuala Lumpur, Malaisie, Centre of Excellence for Biodiversity Law, 2008). Voir aussi Akiho Shibata (coordinateur de publication) International Liability Regime for Biodiversity Damage: The Nagoya-Kuala Lumpur Supplementary Protocol (New York, Routledge, 2014).

15 Durant les négociations sur le Protocole additionnel, les co-Présidents (René Lefeber et Jimena Nieto Carrasco), qui ont guidé les participants tout au long du processus difficile, ont fondé les travaux du Protocole additionnel sur trois traités et processus : les travaux de la Commission du droit international sur « le projet d’article sur la prévention des dommages transfrontières découlant d’activités dangereuses » (2001) et sur « le projet de principes relatif à la répartition des pertes en cas de dommage transfrontière découlant d’activités dangereuses » (2006); le Protocole de Bâle sur la responsabilité et l’indemnisation en cas de dommage résultant de mouvements transfrontières et de l’élimination des déchets dangereux,1999, disponible sur le site http://www.basel.int/countries/statusofratifications/theProtocol/tabid/1345/Default.aspx; et la Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en vue de la prévention et de la réparation des dommages environnementaux, Journal officiel de l’Union européenne, 2004, L 143/56. Disponible sur le site  http://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/ TXT/?uri=CELEX:32004L0035.

16 Voir appel de notes 8.

17 Peter Haas, « UN Conferences and Constructivist Governance of the Environment », Global Governance, vol. 8 (2002), pp. 73- 91 (81-91).

 

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