11 juin 2012

Bien que l'expression « sécurité alimentaire » ait été inventée il y a 16 ans seulement, l'humanité lutte contre la famine et la faim depuis les anciens temps. L'accord du Sommet alimentaire mondial de 1996, fondé sur le concept que la sécurité alimentaire existe « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive pour mener une vie saine et active », a donné une nouvelle vision aux efforts menés pour combattre la faim et la malnutrition. Selon cette définition, la sécurité alimentaire est multidimensionnelle et touche les populations aux niveaux mondial, régional, national, sous-national ainsi que les ménages. Elle se présente sous diverses formes, pouvant être chronique, aiguë et passagère. En outre, les exigences varient selon qu'il s'agit d'enfants, de femmes et de personnes âgées.

L'instauration d'un nouveau partenariat mondial pour réduire la pauvreté extrême et l'établissement d'une série d'objectifs assortis de délais avec une date-butoir fixée en 2015, appelés les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), devait donner une nouvelle impulsion à la question de la sécurité alimentaire. Toutefois, 12 ans après, les progrès concernant la cible 1 du premier OMD - réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de personnes qui souffrent de la faim - sont encore trop lents, et même au point mort, dans la plupart des régions. Le retard de croissance et l'émaciation sont généralisés dans les pays en développement où un enfant sur quatre souffre d'insuffisance pondérale.

Les causes de ce phénomène alarmant varient. Trois conditions préalables déterminent si la sécurité alimentaire existe : la disponibilité physique des aliments au moyen de la production, l'importation, l'aide, le transfert entre pays; l'accès socio-économique et culturel à la nourriture; et l'assimilation alimentaire.

La disponibilité physique des aliments à la fois aux niveaux macro et micro peut être affectée par une production locale insuffisante, des catastrophes naturelles et causées par l'homme, les variations saisonnières, la pénurie d'eau, des infrastructures en mauvais état, des capacités de stockage insuffisantes, l'entassement ou même des problèmes juridiques. L'accès socio-économique à la nourriture peut, toutefois, être affecté par la pauvreté, le manque de ressources, les changements climatiques, les catastrophes, l'instabilité politique et l'impossibilité d'assurer les moyens d'existence. En outre, l'irrégularité de la distribution de produits alimentaires subventionnés en raison de ressources fiscales réduites, les taux d'alphabétisation faibles, les normes sociales, comme la discrimination entre les sexes, et le manque de sensibilisation aux avantages d'une alimentation équilibrée peuvent avoir une influence négative sur la distribution des ressources au sein de la famille.

En revanche, les facteurs qui empêchent l'assimilation alimentaire comprennent le manque d'eau potable, des établissements de santé et des services d'assainissement inadéquats, un taux d'alphabétisation faible et le manque de ressources fiscales que les gouvernements consacrent aux programmes de développement du secteur public, qui pourraient permettre d'assurer la fourniture des services de base. D'autres facteurs concurrents contribuent également à la crise alimentaire mondiale.

QUESTIONS HUMANITAIRES ET/OU QUESTIONS DE PRODUCTION

L'une des raisons des progrès lents pour réaliser l'objectif de réduire de moitié la faim dans le monde est que la plupart des politiques et décideurs considèrent la sécurité alimentaire comme une question humanitaire et/ou une question de production. Traiter l'insécurité alimentaire comme une question humanitaire nécessite, cependant, de garantir la sécurité alimentaire au moyen d'appels de fonds d'urgence, de dons, de l'aide alimentaire, de secours alimentaires d'urgence et d'autres mesures semblables. Si toutes ces mesures peuvent être importantes dans certains cas, elles ne permettent pas de développer la sécurité alimentaire future ni ne peuvent assurer une sécurité alimentaire durable.

De même, traiter l'insécurité alimentaire seulement comme une question de production ne répond qu'à un seul aspect du problème - la disponibilité physique. La faim, la malnutrition et l'insécurité alimentaire ont augmenté au cours des années dans les pays riches en produits alimentaires comme l'Inde, le Pakistan et de nombreux pays d'Amérique latine. Selon le Programme alimentaire mondial, en raison de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs en 2010 au Pakistan, la consommation de blé a diminué de 10 %, alors que cette céréale est considérée comme un produit alimentaire de base.

Tenter de résoudre la question de l'insécurité alimentaire en augmentant simplement la production pose parfois la question de savoir si les aliments sont produits de manière durable en utilisant les ressources disponibles. Le débat contre les subventions agricoles dans le Nord ainsi que les effets négatifs de la révolution verte dans l'environnement du Sud indiquent comment les principes de la durabilité peuvent être compromis lorsque l'on cherche à produire plus.

L'augmentation de la production n'est pas un problème tant qu'elle est réalisée selon les principes de la durabilité. Ce qui est préoccupant, cependant, c'est que très peu d'efforts ont été faits pour assurer à tous, à tout moment, l'accès socio-économique à la nourriture disponible. C'est l'aspect de la (l'in) sécurité alimentaire le plus négligé.

GOUVERNANCE ET PARTENARIATS INTERNATIONAUX

De nombreuses raisons expliquent le manque d'accès économique à la nourriture. Du côté de l'approvisionnement, la raison principale de la volatilité des prix alimentaires est la gouvernance inefficace et les pratiques de distorsion des marchés. Les marchés inefficaces dans les pays qui ne sont pas gouvernés de manière adéquate, l'augmentation des prix des intrants agricoles, celle du coût des transports due à l'inflation du prix du pétrole, les dégâts causés à l'infrastructure physique limitant l'approvisionnement des produits alimentaires, l'accaparement et la constitution d'entente, en particulier pour les produits de base, ainsi que l'introduction en contrebande de denrées céréalières et d'animaux vivants dans les pays voisins sont quelques- uns des facteurs qui entraínent une inflation alimentaire. Toutes ces questions pourraient être traitées par une meilleure gouvernance au niveau local.

Dans la plupart des pays en développement où l'incidence de la faim et de l'insécurité alimentaire est aussi élevée, les approvisionnements alimentaires restreints ou incertains engendrent des achats de panique. Ceux qui ont les moyens tentent d'acheter au-delà de leurs besoins immédiats, même à des prix élevés. Cela encourage ceux qui stockent les produits à les vendre à des prix plus élevés, et le cycle vicieux continue jusqu'à ce que l'approvisionnement se stabilise.

Selon les rapports sur les progrès dans la réalisation des OMD qui sont établis par les États Membres, il est clair que si de nombreux efforts sont faits au niveau macro par les partenariats internationaux pour augmenter la production alimentaire, améliorer l'approvisionnement en eau potable (pas nécessairement une eau potable salubre pour la plupart des pays en développement), contrôler les maladies mortelles et améliorer l'assimilation alimentaire, aucun partenariat efficace n'a été instauré pour améliorer l'accès socio-économique à la nourriture.

C'est le maillon le plus faible de nos efforts pour éradiquer la faim, qui, à son tour, a des conséquences dans la réalisation de la sécurité. Les quatre niveaux de sécurité - individuelle, nationale, régionale et mondiale - ne s'excluent pas mutuellement, mais sont liés les uns aux autres. Plus d'un milliard de personnes sur cette planète n'ayant pas suffisamment de nourriture et dont la sécurité individuelle est quotidiennement menacée tendent à adopter des comportements extrêmes. Des études réalisés par divers organismes des Nations Unies ont montré comment les populations des pays en développement ont réduit leurs portions de repas et ont recours à une alimentation moins saine. Il suffit de lire les journaux de n'importe quel pays en développement pour comprendre les comportements extrêmes adoptés par ceux qui connaissent une insécurité individuelle. Certains organisent des protestations pour réclamer des services de base comme un approvisionnement ininterrompu en électricité, en gaz et en eau et ont parfois recours à des actions qui peuvent devenir violentes. Ils peuvent aussi être obligés de vendre leurs reins ou même leurs enfants, tandis que d'autres s'adonnent à d'autres activités anti-sociales comme le vol, le cambriolage et l'enlèvement contre rançon. Certains forcent leur femme à se prostituer et leurs enfants à travailler, d'autres se suicident et/ou tuent les membres de leur famille. Au Pakistan et en Afghanistan, certains deviennent aussi la proie des groupes militants et commettent des attentats-suicides. Ces comportements non seulement encouragent l'intolérance et la violence, mais conduisent aussi à une instabilité socio-politique. Cela affecte la croissance économique et la prospérité et constitue une menace à la sécurité nationale, régionale et mondiale à laquelle les gouvernements répondent en augmentant les dépenses de défense. À ce stade, l'insécurité alimentaire met en danger le développement durable en menaçant la paix, la justice sociale et le bien-être économique.

Comment aller de l'avant ? Premièrement, la situation nécessite un changement de paradigme où la faim est perçue comme une menace à la sécurité nationale. Ce changement donnerait lieu à une augmentation des ressources qui sont affectées afin d'améliorer la sécurité alimentaire. Il donnerait lieu à la réaffectation des dépenses publiques, de sorte que le développement social aurait la priorité sur la défense nationale et les avantages de ces dépenses profiteraient aux personnes et non pas seulement à l'État.

Deuxièmement, il faut veiller à ce que des mesures durables soient prises pour préserver les ressources naturelles. Il faut maintenir un équilibre entre la production alimentaire et la préservation de l'environnement.

Troisièmement, les décideurs nationaux doivent sortir du déni et aborder la question de l'insécurité alimentaire. Il leur faudra alors renforcer le système de protection sociale afin d'offrir un secours ciblé, en particulier aux enfants, aux femmes enceintes et aux mères qui allaitent. Ils devront aussi créer des programmes spéciaux pour ceux qui n'ont pas accès à la nourriture soit sous la forme de programmes « argent contre travail » soit de programmes « nourriture contre travail ».

Enfin, la leçon à tirer des pays riches en produits alimentaires est que tant que la gouvernance ne sera pas améliorée aux niveaux local et national, le partenariat international et les organes directeurs mondiaux ne seront pas d'un grand secours pour garantir la sécurité alimentaire.

 

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