Bien que n'étant pas à l'avant-garde des solutions climatiques, le recyclage des déchets, des eaux usées et de l'énergie gaspillée est un moyen efficace, disponible localement pour réduire les gaz à effet de serre. L'un de ces gaz, le méthane issu des sites d'enfouissement et des eaux usées, représente environ 90% des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des déchets. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat1, 18 %des émissions de méthane sont imputables aux activités humaines dans le monde et environ 3% aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le détournement des déchets des sites d'enfouissement et leur utilisation est donc un moyen évident et avéré de conserver les terres et les ressources, comme nous le savions depuis longtemps. Nous pouvons désormais ajouter aux nombreuses études que ces pratiques améliorent également la protection de l'environnement.

S'appuyant sur des exemples du monde entier, cet article décrit les effets climatiques 1) du recyclage des déchets ménagers et de leur réutilisation, 2) de la gestion cyclique des ressources entre des entreprises appelée «symbiose industrielle» et 3) des propositions de longue portée pour l'utilisation des ressources à l'échelle nationale. Il tire les leçons des perspectives offertes par l'écologie industrielle, un nouveau domaine axé sur le flux des matières, d'énergie et d'eau au travers des systèmes à différentes échelles, allant des produits aux usines, et des pays aux régions.

Quels effets la réutilisation des ressources a-t-elle sur le climat ? La gestion cyclique de l'énergie au moyen de la cogénération, la réutilisation des déchets agricoles ou la récupération des matériaux à forte intensité d'énergie, comme l'aluminium, réduisent les émissions de gaz à effet de serre. Étant donné que la plus grande partie de l'énergie à des fins commerciales est produite à partir de combustibles fossiles, la production d'électricité émet plus de gaz à effet de serre que tout autre secteur industriel. La gestion cyclique de matériaux réutilisés dans d'autres procédés de production réduit les effets des changements climatiques en comparaison des matériaux vierges qui doivent être extraits de la terre, puis transformés au cours de nombreuses étapes. La récupération des ressources permet de libérer des terres et des capitaux qui seraient nécessaires pour fabriquer la quantité équivalente de produits à partir de ressources vierges. La gestion cyclique de l'eau signifie qu'elle est utilisée plus d'une fois, une pratique essentielle et de plus en plus urgente alors que l'eau se raréfie en raison de la baisse des précipitations causée par les changements climatiques. Pour traduire ce concept, les écologistes industriels utilisent le terme «utilité incorporée» : la quantité d'eau, d'énergie et de matériaux utilisés dans les cycles de vie d'un produit, de sa conception à sa fin de vie2. L'utilité incorporée est au cœur de l'écologie industrielle : si un produit est enfoui sous terre, ces ressources sont perdues.

DÉCHETS MÉNAGERS ET RECYCLAGE
Toutes les études réalisées au cours des cinq dernières années au Brésil, au Canada, en Europe ou en Asie affirment notre capacité à quantifier les émissions de gaz à effet de serre provenant des déchets ménagers au cours d'un cycle de vie. Chaque étude montre que le recyclage et la réutilisation ont des effets positifs sur la réduction des gaz à effet de serre, principalement par la récupération de l'énergie, de l'eau et des matériaux utilisés pour fabriquer ces produits. Ces études ont notamment porté sur les impacts «en amont» (l'étape de la production), comme les effets du remplacement des matériaux vierges par des matériaux recyclés, ainsi que sur les impacts «en aval» qui résultent de stratégies alternatives comme l'enfouissement, le compostage ou l'incinération des déchets. La somme des impacts en amont et en aval représente un double avantage pour le recyclage. Même quand les émissions produites par les camions de collecte de déchets sont prises en compte, on observe une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L'ampleur des réductions des émissions de gaz à effet de serre et le mécanisme de réduction dans un lieu donné dépendent toutefois des matériaux spécifiques utilisés, de l'ampleur de la récupération, de la disponibilité des marchés et de la quantité de combustibles réduite grâce au recyclage des ressources. Le recyclage des métaux constitue une réelle économie d'énergie, tandis que le recyclage du papier contribue souvent aux avantages de la séquestration du carbone assurée par les forêts. Le remplacement de la production d'énergie à partir du pétrole ou du charbon, deux énergies fossiles riches en carbone, contribue davantage à la réduction des émissions que le recyclage et le remplacement de l'énergie produite par les énergies renouvelables ou l'énergie hydraulique. Lorsqu'on mesure les effets comparatifs du recyclage et de l'élimination des déchets sur le climat, il n'existe donc aucune règle universelle, mais des différences régionales.

De nombreux outils existent aujourd'hui pour calculer l'impact environnemental des différentes filières de traitement des déchets solides et des matériaux. Un exemple est l'Environment Benefits Calculator du Conseil de recyclage du Nord-Est, aux États-Unis, qui évalue les avantages environnementaux dans un domaine donné en fonction du tonnage des matériaux réduits à la source, réutilisés, recyclés, enfouis ou incinérés. Cette calculatrice, un outil en format Microsoft Excel, incorpore les résultats de plusieurs études de cycle de vie à partir d'usines «typiques» et de caractéristiques de production aux États-Unis3. L'étude du Brésil évalue en détail les impacts environnementaux de matériaux, comme l'aluminium, le plastique, le papier, l'acier et le verre4.

À l'exception des mélanges de matériaux ou des matériaux contaminés qui sont difficiles à catégoriser ou à recycler, un vaste éventail de programmes est disponible pour réduire l'impact environnemental de la gestion des déchets. Certains des programmes les plus réussis comprennent la collecte des déchets ménagers recyclables ou le dépôt dans des centres au niveau du district; l'obligation pour les résidents qui produisent une grande quantité de déchets de payer plus que ceux qui en produisent moins; la mise en place de politiques qui ont été adoptées en Europe et qui se répandent rapidement en Asie visant à renforcer le rôle des fabricants dans le renvoi des produits (responsabilité accrue du fabricant); et l'évaluation des droits et des taxes sur les catégories de produits comme les pneus ou les piles, ou sur l'utilisation générale des sites d'enfouissement.

SYMBIOSE INDUSTRIELLE
Alors que les gaz à effet de serre liés aux changements climatiques sont souvent causés par la concentration géographique des zones de production, leurs effets peuvent être atténués par une action menée en collaboration. La notion de «symbiose industrielle» est née de l'écologie industrielle: il s'agit d'un regroupement d'entreprises, proches géographiquement, qui pratiquent des échanges de matières, de sous-produits, d'énergie et d'eau. Cette solution est mutuellement avantageuse car les déchets d'un procédé industriel servent de matière première à un autre. Grâce à ces systèmes, les coûts de transport et les émissions sont réduits et l'utilité incorporée est conservée, permettant de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre à l'échelle industrielle.

Les cendres volantes rejetées par les centrales au charbon pour faire du ciment sont un exemple de réutilisation simple mais courante d'un sous-produit industriel. Un spécialiste britannique a estimé qu'il y avait 600 millions de tonnes de cendres volantes dans le monde en 20005. Chaque tonne de cendres volantes utilisée dans la fabrication du ciment de Portland présente un double avantage : non seulement une tonne de ce matériau est détournée du site d'enfouissement en aval, mais en supposant que les distances de transport sont raisonnables, près d'une tonne de dioxyde de carbone est également éliminée en amont6. Pourtant, dans le cas des États-Unis par exemple, plus de 50%des cendres volantes sont toujours déversées dans des sites d'enfouissement7.
Au niveau d'une région industrielle, les cas d'échanges de sous-produits entre entreprises sont nombreux. Le plus connu comprend plus d'une vingtaine d'échanges mis en œuvre entre huit entreprises membres et de nombreuses autres opérations auxiliaires à Kalundborg, au Danemark. Les principaux partenaires sont une raffinerie de pétrole, une centrale électrique, une usine de panneaux en gypse, une usine pharmaceutique et un fabricant d'enzymes. Ils partagent les eaux souterraines, les eaux de surface, les eaux usées, la vapeur et le pétrole et échangent également une variété de sous-produits comme les cendres volantes et le gypse synthétique qui servent de matières premières dans d'autres procédés8.

Cette pratique est encore plus développée à Tianjin, en Chine où un réseau de 80 échanges de matériaux, d'énergie et d'eau entre les entreprises a été mis en œuvre dans la Zone de développement économique et technologique de Tianjin (TEPA) qui comprend plus de 60 entreprises internationales figurant dans la liste Fortune 5009. Les analyses préliminaires effectuées à TEFA indiquent une réduction importante des gaz à effet de serre par la récupération de l'énergie issue du traitement des déchets et les utilisations séquentielles de l'énergie (comme le recyclage de la condensation), la réutilisation de l'eau et des économies de transport, car au lieu d'être expédiées par bateau sur de longues distances, ces matières circulent sur de courtes distances. Le personnel du Programme national de la symbiose industrielle (NISP) financé par le Gouvernement britannique utilise régulièrement les facteurs de conversion disponibles afin d'évaluer les impacts environnementaux de chaque échange industriel qu'ils négocient entre les parties. Au cours des quatre dernières années, le NIPS a permis de détourner plus de cinq millions de tonnes de déchets des sites d'enfouissement, d'économiser près de huit millions de tonnes de matériaux vierges au Royaume-Uni, tout en éliminant plus de cinq millions de tonnes d'émissions de carbone dans l'ensemble de son réseau industriel10.

PROPOSITIONS DE LONGUE PORTÉE
Compte tenu des avantages que présentent la réduction à la source, la réutilisation et le recyclage pour l'environnement par rapport aux autres options de traitement des déchets, il n'est pas surprenant que certains gouvernements envisagent de mettre en œuvre ces initiatives à l'échelle nationale. L'Allemagne et le Japon ont été les premiers pays à adopter une loi pour encourager des entreprises orientées vers le recyclage. En 1994, l'Allemagne a voté la «loi sur la gestion des déchets en cycle fermé et l'élimination des déchets compatible avec l'environnement» en vue d'assurer la conservation des ressources naturelles et l'élimination propre des déchets11. En 2000, le Japon a promulgué la «loi fondamentale pour la création d'une société fondée sur le recyclage propre des matériaux12» et, en 2003, a établi le «Plan fondamental pour la création d'une société fondée sur le recyclage des matériaux» afin de réduire le volume de déchets produits et augmenter les emplois dans les entreprises qui encouragent le recyclage et la réutilisation des matériaux. Le Japon a également proposé à la communauté internationale son «Initiative des R» afin de promouvoir une politique fondée sur les 3 R «réduire, réutiliser et recycler» qui a été adoptée au Sommet du G8 de 2004.

Plus récemment, la Chine a promulgué, à compter du 1er janvier 2009, la «loi pour la promotion de l'économie circulaire», une mesure progressive et de longue portée fondée sur la nécessité d'équilibrer la croissance économique rapide de la Chine et la dégradation de l'environnement. L'«économie circulaire» est définie d'une manière exhaustive dans la loi se référant à la réduction, à la réutilisation et au recyclage des ressources pendant les procédés de production, de circulation et de consommation.

DES QUESTIONS À DÉBATTRE
Il est important de ne pas perdre de vue que si la gestion des déchets est importante pour l'environnement, de nombreuses autres questions liées aux déchets le sont tout autant, comme la pollution, la qualité de l'eau aux sites de traitement des déchets, la dégradation des terres et la pénurie des ressources. Dans les pays les moins développés où la récupération des déchets est une activité importante de l'économie informelle souvent très organisée, la gestion des déchets soulève de nombreuses questions sociales, économiques et de santé publique. Selon une étude de McKinsey & Company, les impacts environnementaux du secteur des déchets devraient néanmoins augmenter de 20% d'ici à 2030. En ce qui concerne la réduction, 60% du potentiel de réduction de ces augmentations pourraient être atteints par le recyclage13.

Historiquement, les augmentations du volume des déchets sont statistiquement liées au produit intérieur brut par habitant : plus l'économie est dynamique, plus il y a de déchets. Certains pays ont cependant réussi à dissocier croissance économique et déchets. Même dans les sociétés riches, un nombre réduit de sites d'enfouissement signifie un plus grand nombre d'activités de réduction, de réutilisation et de recyclage qui, à leur tour, réduisent les impacts environnementaux. Les premières études sur les «emplois verts» indiquent que le recyclage et le compostage créent plus d'emplois que l'élimination des déchets, offrent des opportunités de formation, d'emploi et de nouveaux investissements dans la prochaine génération de technologies de recyclage des déchets.
Les avantages en cascade apportés par la technologie et l'innovation pour conserver et réutiliser les matériaux, l'eau et l'énergie sont de plus en plus nombreux et pourront contribuer significativement à réduire l'impact environnemental des déchets.
Notes
1 Bogner, J.E., 2007. «Atténuation des émissions mondiales de gaz à effet de serre par la gestion des déchets: conclusions et stratégies du quatrième Rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Groupe travail III (Atténuation)», Waste Management & Research, 26 (1), pp 11-32.
2 Graedel, T. E and Allenby,B. Industrial Ecology, 2e édition: (New Jersey, Prentice Hall, 2002)
3 Voir:http://www.nerc.org/documents/environmental_benefits_calculator.html#whatinfo
4 Pimenteira, C., 2004, «Energy conservation and CO2 emission reductions due to recycling in Brazil», Waste Management, 24 (9), pp 889-897.
5 Tenenbaum, D.J., 2007. «Recycling: Building on Fly Ash Waste", Environmental Health Perspectives, vol. 115, n° 1, jan 01.
En comparaison, selon US EPA, 600 millions de tonnes représentent approximativement deux fois la quantité de déchets solides produits au niveau municipal chaque année aux États-Unis.
6 O'Brien, K. et al, 2009, «Case Study Reducing GHG Emissions from the Concrete Industry», The International Journal of Life Cycle Assessment; Springer.
7 American Coal Ash Association, 2008, 2007 Coal Combustion Product (CCP) Production & Use Survey Results (Revised), septembre 2009.
8 Institut de la symbiose, Kalundborg, Danemark, www.symbiosis.dk
9 Shi, H. et M. Chertow, 2009. «Developing Country Experience in Eco-Industrial Parks: a Case Study of the Tianjin Economic-Technological Development Area in China.» Document de travail. Yale Center for Industrial Ecology.
10 National Industrial Symbiosis Programme, http://www.nisp.org.uk/
11 "Kreislaufwirtschafts-und Abfallgesetz-KrW-/AbfG." Federal Law -Gazette (BGB l) I 1994, 2705
12 La loi pour créer une société fondée sur le recyclage propre des matériaux, loi n° 110 de 2000, Japon, parfois traduit par «Société fondée sur le recyclage».
13 McKinsey & Company, 2009, Pathways to a Low-Carbon Economy.