Dans 127 États du monde, moins de 10 % des femmes sont représentées dans les Parlements[1]. Ce manque de représentation persiste bien que le nombre de femmes parlementaires soit passé de 11,3 % en 1995 à 24,3 % en 2019[2]. Si de nombreuses solutions sont nécessaires pour assurer une représentation plus inclusive, il est crucial, dans un premier temps, de comprendre pourquoi et comment une représentation égalitaire des femmes – en particulier des femmes de couleur dans la vie politique – améliore la société. Cela permettrait de générer une plus grande volonté politique et d’assurer une meilleure allocation des fonds.

Des études récentes ont montré que les pays où les femmes occupent au moins 30 % des sièges au Parlement connaissent une amélioration importante de la santé de la population, en particulier des taux de mortalité[3]. En outre, l’augmentation de leur nombre dans les assemblées élues tendent aussi à réduire les niveaux de corruption par la mise en place de politiques plus inclusives visant à améliorer les services publics et à briser les réseaux collusoires dominés par les hommes[4]. Leur inclusion en politique est aussi liée à une augmentation du produit intérieur brut (p. ex. de 5 à 10 % aux États-Unis seulement[5]), à des villes plus inclusives[6] ainsi qu'à une meilleure réactivité de la police face aux crimes, en particulier ceux commis contre les femmes et les minorités[7]. Fondamentalement, lorsqu'elles sont représentées équitablement dans la vie politique, elles ont une incidence évidente et mesurable sur la santé, l’économie, la sécurité, la sûreté et l’égalité, ce qui engendre des politiques plus inclusives, plus durables et plus démocratiques qui profitent à tous. De même, lorsqu'elles sont exclues de la politique, nous en payons tous le prix.

Comment augmenter le nombre de femmes en politique ? Une mesure immédiate consiste à remédier à l’insuffisance des moyens juridiques, judiciaires et de répression afin de réduire la violence et la discrimination à l’égard des femmes politiques qui siègent déjà au gouvernement. Ces dernières années, dans de nombreuses régions, des femmes engagées politiquement ont fait l’objet de remarques misogynes même de la part de législateurs et de chefs d’État, ce qui a provoqué l’indignation d’un grand nombre de personnes sur les médias sociaux, mais n’a donné lieu à aucune mesure concrète pour contrer les effets de ces discours de haine. Globalement, les femmes se heurtent davantage à des résistances et sont davantage victimes de discrimination et d’abus (à la fois physiques et atteintes à la réputation) au sein des partis politiques et des parlements que leurs homologues masculins[8]. Il faut que les politiques soient plus sûres, plus fondées sur le mérite et plus intéressantes pour les femmes afin de leur assurer une participation réelle. Nous pouvons y parvenir en réclamant une plus grande responsabilité de la part de nos gouvernements et des médias.

Il est aussi crucial de reconnaître l’importance de promouvoir le leadership à un âge précoce, en particulier en encourageant les jeunes filles à revendiquer le droit – et parfois même la responsabilité – d’occuper l’espace public. Aux États-Unis, à 7 ans, les filles sont aussi nombreuses que les garçons à souhaiter être président. Mais à 15 ans, le nombre chute de 50 % chez les filles alors qu’il reste stable chez les garçons[9]. Reconnaître le travail des femmes politiques et leur donner une visibilité peut, cependant, inspirer les plus jeunes générations à embrasser une carrière politique. En ce sens, les femmes dirigeantes et les femmes politiques à haut profil sont importantes, car elles servent de modèle et remettent en question les perceptions de ce que ce sont les politiques et les dirigeants. À la mi-2018, la photo de Parker Curry, une fillette de deux ans en admiration devant le portrait de Michelle Obama, a ému la planète[10]. Peu de temps après, l’expression « on ne peut être ce qu’on ignore » a été largement diffusée, étant appliquée non seulement à Parker Curry, mais aux autres jeunes femmes dans le monde qui ont parlé des femmes dirigeantes qu’elles ont admirées. Dans le monde entier, les femmes politiques étaient honorées dans un moment unique.

Dans mon travail en tant que défenseur des objectifs de développement durable (ODD), co-fondatrice de l’Équipe spéciale pour les futurs leaders et membre de la Commission de haut niveau sur l’emploi en santé et la croissance économique, j’ai constaté comment les expériences et les opportunités rencontrées dans l’enfance forgent notre avenir et notre potentiel. Si, dès son adolescence, une fille ou une femme ne pense pas avoir le droit de disposer de son corps, il lui sera difficile de croire qu’elle pourra occuper une fonction publique. Le déni de ce droit et de tout choix aura un effet préjudiciable au niveau le plus personnel ainsi que des répercussions importantes sur sa vie. La capacité d’exercer les droits en matière de sexualité et de procréation a des répercussions sur les capacités économiques des femmes (en particulier des femmes au revenu faible et des femmes de couleur), tout comme les avancées juridiques concernant les droits en matière de sexualité et de procréation ont une incidence positive sur leur participation dans le domaine politique[11]. Les effets sont circulaires : plus les femmes participent à la vie politique, plus elles font évoluer les débats gouvernementaux et législatifs pour se concentrer sur les politiques liées aux droits en matière de procréation[12]. Le pouvoir personnel est essentiel à leur engagement en politique – mais l’inverse est vrai également : dans les pays où les droits en matière de procréation ont été établis et légiférés, ils sont contestés ou bafoués. Plus les femmes sont nombreuses à présenter leur candidature à des fonctions publique afin de défendre leur pouvoir personnel et économique, plus l’impact sur les jeunes filles est important aujourd’hui et le sera demain.

C’est pourquoi, si nous voulons assurer la participation des femmes en politique, nous devons aller plus loin : transformer nos présupposés culturels concernant les caractéristiques qui définissent le leadership. Les caractéristiques féminines sont trop souvent considérées comme un « complément » pour le leadership, tandis que les qualités masculines sont couramment décrites comme une justification pour le succès dans les rôles de leaders (en particulier par les hommes)[13]. Au début de 2019, Jacinda Arden, Première Ministre de la Nouvelle-Zélande, a répondu à un attentat terroriste atroce en faisant preuve de compassion, d’amour et d’intégrité, démontrant à nous tous ce qu’est le leadership[14]. En 2015, la législatrice argentine Victoria Donda Pérez a montré comment le leadership et la maternité ne s’excluent pas mutuellement en allaitant son bébé tout en prenant part aux audiences parlementaires[15]. Il est essentiel d’adopter différents styles de leadership pour assurer une plus grande inclusion et une meilleure représentation. C’est le moyen le plus efficace pour mettre en valeur la diversité en politique et la promouvoir.

Alaa Murabit, membre de l’organisation non gouvernementale Voice of Libyan Women, au cours d’un débat ouvert tout au long de la journée au Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Nations Unies, New York. octobre 2015

Il ne fait aucun doute que dans le monde entier, les sociétés progressistes, inclusives, subissent un recul et que l’égalité des sexes (et de manière plus générale, les ODD) est contestée et même menacée dans de nombreuses parties du monde. Au lieu de montrer des photos de femmes dans des environnements politiques modifiées par Photoshop, nous devrions protéger les droits des femmes et les promouvoir en nous concentrant sur ce que nous pouvons changer et apporter. Nous pouvons et devons veiller à ce que les jeunes filles dans le monde puissent disposer librement de leur corps. Nous pouvons et devons nous assurer que nous-mêmes – ainsi que les médias que nous consultons et les communautés dont nous faisons partie – mettons en valeur les efforts des femmes leaders et démultiplions leurs effets. Enfin, nous devons, et nous pouvons, veiller à changer le langage que nous utilisons lorsque nous parlons du leadership des femmes. Nous ne pouvons pas nous concentrer seulement sur nos défis actuels, mais devons faire entendre nos voix pour soutenir les droits des femmes et les femmes qui les défendent chaque jour pour qu’aujourd’hui et demain les filles puissent voir qu’elles ont une place dans le monde politique et qu’elles ont le droit, et aussi la responsabilité, d’occuper cet espace.

Notes

[1] Union interparlementaire, « Les femmes dans les Parlements nationaux », le 1er février 2019. Disponible sur le site http://archive.ipu.org/wmn-e/classif.htm.

[2] Ibid.

[3] Ross Macmillan, Naila Shofia et Wendy Sigle, « Gender and the Politics of Death: Female Representation, Political and Developmental Context, and Population Health in a Cross-National Panel », Démographie, vol. 55, numéro 5, pp. 1905–1934 (octobre 2018). Disponible sur le site https://link.springer.com/article/10.1007/s13524-018-0697-0.

[4] Monika Bauhr, Nicholas Charron et Lena Wängnerud, « Close the political gender gap to reduce corruption: How women's political agenda and risk aversion restricts corrupt behavior », dans un dossier U4 2018:3, Anti-Corruption Resources Centre), Monica Kirya, éd. (Norway, Chr. Michelsen Institute [CMI), 2018]). Disponible sur le site https://www.u4.no/publications/close-the-political-gender-gap-to-reduce-....

[5] Beth Ann Bovino et Jason Gold, « The Key to Unlocking U.S. GDP Growth? Women », (S&P Global, 2017). Disponible sur le site https://www.spglobal.com/_Media/Documents/03651.00_Women_at_Work_Doc.8.5...

[6] Vera Baboun, « Creating Inclusive Cities with Gender Policies », NewCities, 5 mars 2018. Disponible sur le site https://newcities.org/the-big-picture-integration-of-gender-policies-and....

[7] Lakshmi Iyer, Prachi Mishra, Anandi Mani et Petia Topalova, « The Power of Political Voice: Women’s Political Representation and Crime in India », American Economic Journal: Applied Economics, 4(4) (2012): 165-193. Disponible sur le site https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/app.4.4.165.

[8] Leah Culhane et Jemima Olchawski, « Strategies for success: Women's experiences of selection and election in UK Parliament », Fawcett Society (Londres, 2018). Disponible sur le site https://www.fawcettsociety.org.uk/Handlers/Download.ashx?IDMF=b8a66d72-3....

[9] « How Many Teenage Girls Aspire To Be President Of The United States? », The Mother List, 26 février 2014. Disponible sur le site https://themotherlist.com/teenage-girls-aspire-to-be-president.

[10] Michael S. Rosenwald, « A moment of awe: Photo of little girl captivated by Michelle Obama portrait goes viral », Washington Post, 4 mars 2018. Disponible sur le site https://www.washingtonpost.com/local/a-moment-of-awe-photo-of-little-gir....

[11] Sandra Pepera, « Why Women in Politics », Women Deliver. 28 février 2018. Disponible sur le site https://womendeliver.org/2018/why-women-in-politics.

[12] Sarah Kliff, « The research is clear: electing more women changes how government works », Vox, mise à jour le 8 mars 2017. Disponible sur le site https://www.vox.com/2016/7/27/12266378/electing-women-congress-hillary-c....

[13] Andrea C. Vial et Jaime L. Napier, « Unnecessary Frills: Communality as a Nice (But Expendable) Trait in Leaders », Frontiers in Psychology, 15 octobre 2018. Disponible sur le site https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2018.01866/full.

[14] Suzanne Moore, « Jacinda Ardern is showing the world what real leadership is: sympathy, love and integrity », The Guardian (US edition). 18 mars 2019. Disponible sur le site https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/mar/18/jacinda-ardern-is-....

[15] Chris Mandle, « Argentinian politician Victoria Donda Perez praised after breastfeeding photo taken during parliamentary session goes viral », Independent, 24 juillet 2015. Disponible sur le site https://www.independent.co.uk/news/people/argentinian-politician-victori...

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