18 mai 2020 — Troubles psychologiques, deuil, anxiété, dépression, stress post-traumatique : partout dans le monde, les incidences de la pandémie de coronavirus sur la santé mentale des personnes sont légion et risquent de laisser des traces durables, avertissent les Nations Unies, convaincues de la nécessité d’investir massivement dans ce domaine jusqu’alors délaissé par les politiques de santé publique.
Alors que s’est ouverte ce lundi la soixante-treizième Assemblée mondiale de la Santé, réunion annuelle de l’organe décisionnel de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), organisée exceptionnellement en ligne et sur deux jours, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a dit attendre des gouvernements des « engagements ambitieux » en matière de santé mentale.
« Après des décennies de négligence et de sous-investissement dans les services de santé mentale, la pandémie de COVID-19 frappe désormais les familles et les communautés avec un stress mental supplémentaire », a-t-il constaté, le 13 mai, à l’occasion de la publication d’une note de synthèse sur cette autre urgence sanitaire.
Les effets de cette crise pandémique aggravent un état des lieux déjà alarmant, relève le document onusien. La dépression et l’anxiété font ainsi perdre plus de 1 000 milliards de dollars par an à l’économie mondiale et le nombre des personnes en état dépressif s’élève en temps normal à quelque 264 millions au niveau planétaire. Or, pour l’heure, les pays consacrent en moyenne 2 pour cent de leur budget de santé à la prise en charge des troubles mentaux.
Un élément essentiel de tout plan de réponse et de relèvement
« Compte tenu des besoins accrus et sur le long terme que cause la pandémie, il est temps de remédier à cette iniquité et de mettre en place au niveau communautaire des services abordables qui soient efficaces et respectueux des droits de l’homme, dans le cadre des plans de relèvement », plaide l’ONU dans une optique post-COVID-19.
Pour cela, il importe que les soins soient inclus dans les forfaits de santé et les régimes d’assurance « afin de garantir que les besoins essentiels en santé mentale sont couverts ». Dans les domaines sanitaires et sociaux, les capacités des personnels doivent être renforcées, en veillant à ce que « les programmes favorisant le bien-être disposent des budgets appropriés ». À plus longue échéance, l’ONU recommande d’opter pour des soins de santé mentale de qualité « au sein de la communauté plutôt qu’en institution ».
« Les services en matière de santé mentale sont un élément essentiel de tout plan de réponse gouvernemental à la COVID-19. Ils doivent être élargis et entièrement financés », a souligné M. Guterres. Dans le cadre de la reprise post-pandémie, a-t-il complété, « nous devons fournir davantage de services de santé mentale aux communautés et nous assurer que la santé mentale est incluse dans la couverture sanitaire universelle ».
Dans l’immédiat, plusieurs agences, fonds et programmes de l’ONU renforcent leur réponse en matière de santé mentale et psychosociale pour porter assistance aux populations les plus affectées. « Nous devons les aider et être à leurs côtés », a affirmé M. Guterres. « Même lorsque la pandémie sera sous contrôle, le deuil, l'anxiété et la dépression continueront d'affecter les personnes et les communautés ».
Les personnels de santé, cible prioritaire
En première ligne face au virus, les médecins et les infirmiers sont particulièrement exposés à la détresse psychologique liée à la COVID-19. Outre une lourde charge de travail, des conditions matérielles souvent complexes et des situations traumatisantes, ils doivent surmonter la peur de contracter la maladie ou de la transmettre à leur famille et à leurs proches.
Selon l’OMS, les problèmes de stress chronique et de santé mentale durant cet épisode pandémique sont partagés par les personnels soignants de toutes les régions du monde. En Chine, par exemple, les agents de santé se sont dit sujets à la dépression (50 %), à l’anxiété (45 %) et à l’insomnie (34 %). Au Canada, 47 % des personnels d’établissements de santé ont indiqué avoir besoin d’un soutien psychologique.
Afin de favoriser le bien-être psychosocial des groupes à risques, l’agence sanitaire de l’ONU a publié un ensemble de considérations en lien avec la santé mentale pendant la pandémie. Aux personnels de santé, il est recommandé d’adopter des stratégies d’adaptation, d’éviter la consommation de tabac, d’alcool ou d’autres drogues, de communiquer entre collègues et de rester en contact avec ses proches. Les chefs de service et responsables d’établissement sont, eux, invités à assurer des rotations entre des postes fortement générateurs de stress et d’autres moins éprouvants.
Elaboré par le Programme d’action de l’OMS sur les lacunes en santé mentale (mhGAP) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Guide d'intervention humanitaire comprend également des recommandations cliniques en matière de prise en charge des troubles mentaux prioritaires. Il traite notamment des troubles dépressifs modérés à sévères (DEP) et de l’état de stress post-traumatique (ESPT) auxquels font aujourd’hui face un grand nombre d’agents de santé.
Dans une note détaillant les différentes manières de protéger les agents de santé pendant la pandémie, l’Organisation internationale du Travail (OIT) met pour sa part l’accent sur les risques de discrimination et de stigmatisation « fondés sur la crainte du public de contracter la maladie ». Elle ajoute que « fournir des informations et des conseils aux travailleurs de la santé sur la façon de gérer le stress ainsi que l’ESPT sont deux aspects qui doivent impérativement s’inscrire dans la réponse à la crise ».
Aider les travailleurs en butte à l’anxiété
« L’isolement social, la crainte de la contagion et la perte d’êtres chers sont aggravés par l’anxiété due à la perte de revenus et souvent de son emploi », a rappelé le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, lors de la publication de la note de synthèse de l’ONU. De fait, les inscriptions au chômage enregistrent une hausse vertigineuse, au point que l’OIT table désormais sur la perte de 305 millions d’emplois à temps plein dans le monde au cours du deuxième trimestre de 2020.
Dans un éditorial publié par l’OIT, le Pr Lodde Godderis, spécialiste de médecine du travail au ministère belge de la santé publique, observe que, pour les employés, souvent contraints de travailler temporairement depuis leur domicile, ce sont l’isolement et le confinement qui risquent d’affecter leur santé mentale. Pour les ouvriers, les problèmes psychologiques sont plutôt liés à la précarité de l’emploi et à la perte de revenus.
De l’avis de l’expert, « il est possible d’inverser cette tendance », à condition que les pays investissent dans la protection sociale et les programmes de soutien. Les personnes qui ont travaillé à distance doivent être « préparées mentalement à un retour » à leur poste habituel. Les chômeurs doivent quant à eux être soutenus « pour leur permettre de reprendre leurs fonctions dans la société, mais aussi d’éviter de graves conséquences sur les plans financier et de la santé mentale ».
D’une manière générale, ajoute le Pr Godderis, « les récessions exacerbent les disparités qui existaient déjà en matière de santé et ont une incidence encore plus grande sur la santé des groupes vulnérables et défavorisés ». Pour y répondre, les pays devraient, selon lui, s’employer à « réduire les inégalités en termes de charge liée à la maladie », en axant principalement leurs efforts sur les travailleurs des classes sociales inférieures.
L’OIT observe par ailleurs que la violence et le harcèlement physiques et psychologiques peuvent augmenter pendant une flambée épidémique, de même que la stigmatisation et la discrimination sociales. Dans un récent rapport la sécurité et la santé au travail (SST) dans le contexte pandémique, l’agence recense les mesures à prendre pour prévenir et réduire les risques psychosociaux et à promouvoir la santé mentale.
Accompagner les enfants et les adolescents
Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés par les risques de troubles mentaux. En Italie et en Espagne, relève l’OMS, les parents ont remarqué que, durant le confinement, leurs enfants avaient des difficultés à se concentrer (77 %), étaient irritables (39 %), agités (39 %) et nerveux (38 %). Près d’un tiers des plus jeunes (31 %) ressentaient de la solitude.
Les mesures de restriction liées à la COVID-19 ont aussi accru le risque pour les enfants d’être témoins ou victimes d’actes de violence et d’abus. Ceux atteints de handicap, logés dans des conditions de forte promiscuité ou vivant et travaillant dans la rue sont particulièrement vulnérables, indique l’agence onusienne.
L’inquiétude est forte pour les adolescents et les jeunes, dont l’avenir est affecté par la crise actuelle. La fermeture des établissements scolaires et universitaires, le report ou l’annulation d’examens, la perte de routine et de lien social ainsi que l’aggravation des perspectives économiques ont un fort impact sur eux, souligne l’ONU, rappelant que la moitié des problèmes de santé mentale commencent dès l'âge de 14 ans et que le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes de 15 à 29 ans.
Anticipant les troubles psychologiques que suscite la pandémie chez les adolescents, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a présenté une série de stratégies destinées à leur permettre de faire face à cette « nouvelle normalité temporaire ». Élaborés avec la psychologue Lisa Damour, ces conseils visent à aider les jeunes à mieux contrôler leurs émotions dans ce contexte anxiogène.
Anxiété
— UNICEF (FR) (@UNICEF_FR) May 16, 2020
Stress
Peur
Solitude
Ennui
Tristesse
Voici 5 conseils pratiques pour que les adolescents gèrent ces émotions et prennent soin de leur santé mentale en ces temps incertains. #COVID19
Que faites-vous pour rester en bonne santé et optimistes ? pic.twitter.com/DYJMuWbGBg
Il est ainsi rappelé que « l’anxiété constitue un signal normal et sain » pour se protéger des menaces. Face à cette situation qui les dépasse, l’UNICEF recommande aux adolescents de trouver des distractions, de chercher de nouveaux moyens de communiquer avec leurs amis et de penser à eux. « Prendre du temps pour soi et trouver des activités pour occuper tout ce temps désormais libre constituent des moyens productifs de prendre soin de sa santé mentale », explique l’agence.
L’UNICEF propose également aux jeunes âgés de 13 à 24 ans de combattre leur anxiété en partageant des messages, récits et dessins traitant de l’importance de l’entraide et de la gentillesse en période de crise. Le Fonds onusien s’engage à les publier sur son site et sur ses comptes sociaux s’ils respectent les règles d’engagement.
Répondre aux besoins psychosociaux des migrants et des personnes déplacées
Exposés à de forts risques d’infection à la COVID-19, les migrants et les personnes déplacées font également partie des populations les plus en danger s’agissant des problèmes mentaux et psychosociaux liés à la pandémie. Entassées dans des camps ou des centres surpeuplés, éloignées des systèmes de santé et de soutien, privées de filets de sécurité, ces populations font souvent face à des situations de travail précaires, informelles ou dangereuses et à la crainte d’une arrestation ou d’une expulsion.
« Le stress du confinement, la perte d'emploi, la stigmatisation et la xénophobie ont indéniablement un impact sur la santé mentale. Les plus vulnérables, notamment les migrants, les populations mobiles et les travailleurs saisonniers, sont confrontés à un ensemble unique de défis », a alerté le Directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), António Vitorino, en exhortant les États à inclure les besoins psychosociaux de ces personnes dans leur réponse à la pandémie.
Lancé à la veille de l’Assemblée mondiale de la Santé, cet appel vise à permettre le développement de stratégies de communication psychosociale et d’une offre de santé mentale dans les situations d’urgence. L’OIM préconise aussi d’investir dans des interventions de santé mentale à distance, d’assurer la poursuite des soins en présence pour les personnes souffrant de graves troubles mentaux et de promouvoir la participation des communautés.
Dans 72 pays, l’agence fournit des services de santé mentale et de soutien psychosocial (SMSPS) aux migrants vulnérables et aux personnes déplacées dans le cadre de ses programmes. Elle s’appuie pour cela sur des approches communautaires, qui « aident à faire face aux réactions collectives et individuelles à l’adversité, en s’appuyant sur les forces existantes ou préexistantes des communautés touchées, en rétablissant un sens de l’action et en évitant le sentiment d’impuissance », précise-t-elle dans un manuel publié l’an dernier sur cette problématique.
Dans le contexte spécifique de la COVID-19, l'OIM a adapté ses activités SMSPS en fournissant, entre autres exemples, des conseils en ligne et un soutien psychosocial à distance à des populations vulnérables. Elle a également étendu ses services de santé mentale à des installations de quarantaine ou d'isolement, en particulier pour les plus de 9 400 migrants renvoyés en Éthiopie ces dernières semaines depuis l’Arabie saoudite, Djibouti, la Somalie et le Soudan.