Sahel : soudure à hauts risques

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Sahel : soudure à hauts risques

PAM / Marcus Prior
School children march in celebrations marking Cameroon’s 50th anniversary Une mère allaite son enfant au Niger. Dans la région du Sahel, dix millions de personnes pourraient être victimes de famine cette année, à cause de la sécheresse et des troubles politiques.
Photo: PAM / Marcus Prior

Au Sahel, même en période normale, l’insécurité alimentaire atteint des niveaux élevés. Cette année, alors que la période de soudure (qui s’étend de mai à août) vient de s’ouvrir, la situation s’annonce nettement plus préoccupante. La faute aux pluies capricieuses et rares des derniers mois, qui ont dangereusement affecté le volume des récoltes. Conséquence, des communautés entières disposent de réserves insuffisantes pour survivre jusqu’aux prochaines récoltes, prévues en septembre. Dix millions de personnes dans l’Est du Mali, au Nord du Cameroun, au Tchad et au Niger sont menacées de famine, selon les estimations du Programme alimentaires mondial de l’ONU (PAM). “Les gens ont perdu leurs récoltes, leur bétail et la capacité de survivre par eux-mêmes”, confirme Thomas Yanga, le directeur de l’agence pour la région Afrique de l’Ouest.

Au Tchad, à cause des mauvaises récoltes, la production céréalière a connu une baisse de 34%. Plus de deux millions de personnes – dont 1,4 millions vivant dans la seule région sahélienne du pays – ont urgemment besoin d’assistance. Les agences de l’ONU ont commencé à distribuer de l’aide aux plus vulnérables. Dans de nombreux villages, des résidents ont choisi de partir, à la recherche de moyen de survie. Un scénario qui devient courant dans toute la région. Fin mai, au terme de trois jours de visite dans les zones les plus affectées du pays, John Holmes, le patron des secours d’urgence à l’ONU s’est inquiété de ce que la “situation est alarmante, alors même que la période de soudure vient de seulement de s’ouvrir”.

Au Nord du Cameroun, des mois de sècheresse ont causé une baisse de 19% des récoltes céréalières. Jusqu’en avril 2011, plus de 300000 personnes survivront grâce à l’aide du PAM. Au Mali, 258000 personnes vulnérables survivent déjà grâce à l’assistance d’agences humanitaires.

Le Niger, une fois encore

Avec 7,1 millions de personnes (près de la moitié de la population du pays) menacées par la famine – selon des estimations officielles du gouvernement publiées fin mai – le Niger court les plus grands risques. D’ores et déjà, le coordonateur national des secours d’urgence estime que 3,3 millions de personnes dans 6000 villages sont sévèrement affectées par la crise alimentaire. Les régions les plus affectées, précise un responsable de l’UNICEF, sont Maradi, Zinder et Diffa. Les villes de Tillabery, Agadez et la capitale Niamey ne seraient pas non plus épargnées.

L’année dernière, la production de céréales a connu une baisse de l’ordre de 31%, causant un déficit de 410000 tonnes. La production de fourrage était en baisse de 67%, ce qui représente une menace pour la survie du cheptel national. Les prix des produits alimentaires ont connu une hausse importante, les rendant inaccessible pour de nombreux Nigériens.

“Cette année, les récoltes ont été désastreuses”, confiait récemment à un reporter travaillant pour l’UNICEF le chef du village d’Angalnadinao, dans la région de Zinder. “Nous n’avons rien récolté, absolument rien. Pas de niébé, pas de mil, pas d’arachide. Rien, mais absolument rien du tout”, a-t-il regretté. Même déception chez le chef du village de Dalli, toujours dans la région de Zinder, lors de sa rencontre avec le patron des secours d’urgence de l’ONU:“La sécheresse a tout détruit. Nos réserves sont vides, nous pouvons à peine nourrir nos animaux. Nous avons été contraints de vendre notre bétail”.

Dans la région de Maradi, où vit 20% de la population du pays, la situation est tout aussi dramatique. “En ce moment, nous ne pouvons pas nous permettre plus d’un repas par jour. Nous avions l’habitude d’en consommer trois quotidiennement”, explique Abdou Garba, un paysan de Tara, à l’Agence France Presse. “Nous avons faim, nos animaux ont faim. Ce qui nous arrive en ce moment est pareil à ce que nous avons vécu en 2005”, poursuit un autre chef de village, faisant référence à la dernière grande famine dans la région qui avait touché 10 millions de personnes.

Depuis peu, des médias évoquent des déplacements de femmes et d’enfants notamment des zones rurales du Niger vers les villes et mêmes les pays voisins. Dans le village d’Angalnadinao, qui n’avait jamais connu une situation aussi précaire, 60 des 400 résidents ont migré au Nigéria voisin, en quête de moyens de survivre. Si l’on en croit les médias, dans l’État Nigérian de Katsina, les nouveaux venus vendent de l’eau et du thé alors que d’autres bénéficient de l’hospitalité de familles locales.

Face à la crise, le nouveau pouvoir militaire qui dirige le pays depuis le coup d’état du 18 février dernier a rapidement déclaré “l’état d’urgence alimentaire”. Le 10 mars, il a lancé un appel à l’aide internationale et élaboré un plan d’assistance visant 3,4 millions de personnes. Cette réaction rapide est significative à plus d’un titre. En réagissant aussi vite, le pouvoir nigérien actuel se démarque de celui de l’ancien président Mamadou Tandja qui en 2005, avait refusé de reconnaître l’existence du problème, contribuant aux retards dans l’assistance.

Début avril, les acteurs humanitaires se sont eux-aussi mobilisés, lançant un appel de fonds de l’ordre de 190 millions de dollars. Jusqu’ici cependant, les donateurs sont lents à réagir. Le 3 juin dernier, l’UNICEF a relevé que des 22 millions prévus pour l’assistance aux enfants victimes de malnutrition, seuls 7,4 millions ont été reçu. L’agence appelle à une plus grande mobilisation.

Désastre naturel et politique

Même si la crise alimentaire qui affecte le Sahel cette année a déjà atteint un stade critique, son scénario est loin d’être inhabituel. Depuis les années 1960, des sècheresses persistantes ont mené à de nombreuses famines. La plupart des populations de la région survivent grâce à une agriculture dépendante des précipitations, s’exposant par le fait même aux variations de niveaux de celles-ci. Et même si les conditions climatiques difficiles occupent une bonne place dans de nombreuses analyses, les dimensions politiques du problème attirent de plus en plus l’attention.

“Les causes naturelles ne sont pas seules responsables des crises alimentaires récurrentes dans la sous-région”, relève un rapport publié en 2006 par Actionaid International, une organisation qui se consacre à la lutte contre la pauvreté dans le monde. L’investissement et des politiques efficaces de gestion de l’eau sont nécessaires dans les régions où cette dernière est le facteur essentiel dans la production alimentaire. Or, regrette Actionaid: “dans la région, les politiques économiques facilitent davantage les importations de produits alimentaires généralement subventionnés. Ceci mène à une compétition inégale qui représente un handicap majeur pour le développement d’un secteur alimentaire local”.

La possibilité d’un changement de politique pourtant nécessaire est en outre rendue plus difficile par l’instabilité politique dans certains des pays les plus affectés. Au Niger, la situation humanitaire est liée à la situation politique. En plus des entraves posées par le pouvoir de Mr. Tandja aux efforts d’assistance, des mois de crise politique avant le coup d’état ont ralenti la mobilisation. Désormais il existe un risque de voir la crise politique s’aggraver tant que la crise alimentaire n’est pas résolue.

Au Tchad voisin, où les recettes générées par l’exploitation du pétrole auraient pu permettre de faire face aux risques de famine, la crise alimentaire n’est toujours pas une priorité au plan budgétaire. Les dépenses militaires occupent cette position, le gouvernement faisant face à divers groupes armés rebelles. Tout comme au Niger, résoudre la crise politique contribuerait à sauver les victimes potentielles de la famine qui menace.

– Afrique Renouveau en ligne