Les robinets sont à sec

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Les robinets sont à sec

La deuxième plus grande ville d’Afrique du Sud échappe, pour l’instant, à une crise de l’eau
Masimba Tafirenyika
Afrique Renouveau: 
Cape Town residents queue to fill containers with water. Photo: AP Photo/Bram Janssen
Photo: AP Photo/Bram Janssen
Des résidents du Cap font la queue pour remplir leurs bidons. Photo: AP Photo/Bram Janssen

Le Cap, deuxième plus grande ville d’Afrique du Sud après Johannesburg, se préparant à vivre sans eau du robinet, l’épouse de Mohammed Allie a arrêté de prendre des douches. Allie, un correspondant de la BBC, a raconté l’expérience vécue par son épouse quand l’approvisionnement en eau a été réduit en raison de trois années consécutives de sécheresse.  « [Ma femme] fait bouillir 1,5 litre d’eau qu’elle mélange avec environ un litre d’eau du robinet pour faire sa toilette quotidienne, et le reste d’entre nous récupérons dans un seau le filet d’eau courante pour le recycler dans la citerne des toilettes ».

M. Allie n’est pas le seul : plus de trois millions d’habitants du Cap ont pris des mesures extrêmes pour économiser l’eau, dans une dernière tentative pour échapper à la catastrophe – ce « jour zéro » où les barrages atteindront 13,5% de leur capacité, c’est-à-dire un niveau trop bas pour que les robinets continuent à fonctionner. Le plan prévoit que lorsque le jour zéro sera atteint, les résidents devront faire la queue à quelque 200 points de collecte d’eau surveillés par des agents de sécurité pour obtenir leurs 25 litres d’eau par jour et par personne.

Le jour zéro n’a cessé d’être déplacé depuis le début de l’année. Initialement prévu pour le 11 mai, il a été repoussé au 1er juin puis au 9 juillet. Au final, Mmusi Maimane, le chef de l’opposition de l’Alliance démocratique (DA), a annoncé en mars que grâce à la coopération des habitants qui ont respecté les mesures strictes de rationnement de l’eau, le jour du jugement ne sera probablement pas pour cette année.

Niché à la pointe sud du continent africain, là où l’océan Atlantique rejoint son petit frère l’océan Indien, Le Cap, l’une des destinations touristiques les plus populaires au monde, rejoint donc la liste des villes touchées par de graves pénuries d’eau attribuées au changement climatique.

Les années passent et les pluies saisonnières ne viennent toujours pas. Le Cap a donc pris une série de mesures pour éviter la catastrophe. Celles-ci vont de la mise en place d’usines de recyclage et de dessalement à l’extraction d’eau souterraine en forant des trous de sonde, en passant par le renforcement des restrictions sur l’utilisation de l’eau. Les mesures sont toutefois tardives. La population de la ville a augmenté de plus de 80% ces vingt dernières années, pour atteindre quatre millions d’habitants, alors que les infrastructures sont restées à la traîne.

L’installation d’usines de dessalement, qui traitent l’eau de mer pour la rendre potable, coûte cher et réclame du temps. Selon le Sunday Times, un hebdomadaire national, une grande usine de dessalement coûte entre 417 millions et 1,5 milliard de dollars. Fin février, la ville avait réalisé plus des deux tiers du travail nécessaire à l’installation de quatre usines de dessalement de tailles variables.

Selon un groupe local de défense de l’environnement, Philippi Horticultural Area Campaign, le conseil municipal n’a pas investi dans l’infrastructure de masse nécessaire pour répondre aux demandes en ressources hydrauliques d’une ville en expansion. Le groupe s’oppose aux usines de dessalement, soutenant que « le dessalement est une approche régressive – son coût sera assumé de manière disproportionnée par les pauvres, et ses technologies sont déjà démodées et remplacées par des méthodes de conservation de l’eau plus durables et proactives ».

La crise provoquée par la sécheresse est aggravée par le fait que, selon des scientifiques de l’Université de Western Cape, l’eau de mer des environs du Cap est contaminée par des produits chimiques. Leur rapport de l’année dernière a attiré l’attention sur « la présence probable de pathogènes et, littéralement, de milliers de nouveaux produits chimiques préoccupants » dans l’eau de mer de la ville. Les chercheurs ont découvert « des niveaux élevés de pollution microbienne et 15 produits chimiques ménagers et pharmaceutiques communs » dans divers échantillons prélevés dans la Granger Bay, au cœur de la ville. Les autorités municipales contestent les conclusions de ce rapport.

Certains experts voient la crise de l’eau en termes d’équité et de justice. Le Cap est la ville la plus riche d’Afrique du Sud, l’un des pays du monde où les inégalités de revenus sont les plus prononcées.

Pour les habitants pauvres de la ville, le jour zéro ne changera pas grand-chose. À Khayelitsha, le township le plus vaste et le plus dynamique d’Afrique du Sud, des dizaines de milliers de personnes n’ont pas accès à l’eau courante, selon Beyond Our Borders, un groupe local de défense des droits.

Anele Goba, une résidente de Khayelitsha âgée de 34 ans, a déclaré à Independent Online, un site d’information sud-africain, qu’elle avait peu de sympathie pour l’inquiétude manifestée par les riches. « Le jour zéro leur donnerait un avant-goût de ce que vivent les gens des bidonvilles », dit-elle. « Peut-être que ce ne serait pas si mal ».

Moody’s Investors Service, l’agence américaine de notation de crédit, a repris à son compte ces réflexions formulées par les moins fortunés, avertissant qu’en raison de « fortes inégalités de revenus », la crise de l’eau du Cap représentait une menace potentielle pour l’ordre social.

La crise de l’eau du Cap est susceptible de provoquer des batailles politiques à l’approche des élections nationales de 2019. Le maire de la ville, Patricia de Lille, est un membre important du parti d’opposition de l’Alliance démocratique. Sa prédécesseur, Helen Zille, est une ancienne dirigeante de la DA, aujourd’hui Première ministre de la province du Cap-occidental, la seule des neuf provinces du pays à ne pas être aux mains du parti au pouvoir, le Congrès national africain (African National Congress, ANC).

Au début de l’année, le conseil municipal du Cap a accusé le gouvernement de l’ANC d’avoir traîné les pieds avant de reconnaître la sécheresse comme catastrophe nationale. Après des mois de débat entre hauts responsables de la DA et de l’ANC, le gouvernement a finalement déclaré, en février, l’état de catastrophe nationale.

Dans son discours sur le budget de 2018, le ministre des Finances a débloqué 500 millions de dollars de financements en faveur des efforts de lutte contre la sécheresse au Cap-occidental. La ville du Cap a elle-même augmenté son budget d’investissement pour les projets hydrauliques de 492 millions de dollars en 2017 à 583 millions de dollars en 2018.

Impact économique

La crise de l’eau au Cap a non seulement une incidence sur la dynamique politique de la ville mais aussi, de diverses manières, sur son économie et sa stratégie d’assainissement des eaux. Ses effets vont de l’augmentation des coûts de l’emprunt à laquelle s’ajoute la baisse des revenus des taxes sur l’eau aux risques de santé publique liés à l’insuffisance de l’assainissement. En 2017, selon le rapport de Moody’s, la part du revenu tiré de l’eau municipale dans le revenu d’exploitation de la ville atteignait 10%. Publié fin janvier, le rapport n’envisageait pas le réexamen de la notation de crédit de la ville. Mais si un tel examen devait avoir lieu, il pourrait avoir une incidence sur la notation des obligations du Cap.

« La ville perdra une partie de ses revenus [du secteur de l’eau] et verra augmenter ses coûts opérationnels liés aux politiques et programmes de gestion des crises et à la mise en œuvre de projets d’approvisionnement hydraulique », explique Moody’s. Le déclin de l’agriculture et du tourisme, principaux secteurs d’activité de la ville et ses plus gros consommateurs en eau, augmenterait les pertes d’emplois et porterait préjudice aux recettes fiscales.

Selon les estimations du ministère de l’Agriculture, des Forêts et des Pêches, l’impact de la sécheresse sur l’économie de la province du Cap-Occidental sera de 492 millions de dollars, avec une diminution des exportations qui devrait se situer entre 13 et 20% cette année. L’agriculture de la province représente près du quart de la valeur totale du secteur agricole en Afrique du Sud.

Des sécheresses liées à El Niño

La crise de l’eau au Cap est symptomatique d’un problème plus vaste et plus profond qui touche non seulement l’Afrique du Sud, mais aussi toute la région de l’Afrique australe. Ces dernières années, cette région a souffert des conséquences des sécheresses liées au phénomène climatique El Niño. Selon l’hebdomadaire national Mail & Guardian, l’Afrique du Sud a traversé l’une de ses pires sécheresses météorologiques (situation météorologique anormalement sèche) depuis 1904, avec une pluviométrie moyenne qui est passée de 608 millimètres à 403 millimètres entre 2014 et 2016.

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture affirme que 45 pays, dont l’Afrique du Sud, connaissent des pénuries d’eau critiques. Et selon les estimations d’ONU-Environnement, si la population du Cap a presque doublé entre 1995 et 2018, le stockage des barrages n’a lui augmenté que de 15% pour la même période.

Compte tenu du rythme du changement climatique et de l’effet El Niño, la baisse des précipitations en Afrique du Sud risque de s’aggraver. Les seules options qui restent pour des métropoles comme Le Cap sont le développement des infrastructures hydrauliques pour répondre aux besoins d’une population croissante et la modification des habitudes des résidents en matière de consommation d’eau.

Selon ONU Environnement, « des pluies moins fréquentes auxquelles s’ajoute le changement climatique signifient que des conditions plus sèches deviendront probablement la nouvelle norme ».