Maintien de la paix réussi au Libéria

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Maintien de la paix réussi au Libéria

— Lt Gal Daniel Opande, premier commandant de la Mission de l’ONU au Libéria
Zipporah Musau
Afrique Renouveau: 
Retired Lieutenant General Daniel Opande
Lt. Gen. Daniel Opande

Afrique Renouveau : Pouvez-vous décrire brièvement les conditions de sécurité au Libéria à votre arrivée ?

Lieutenant général Daniel Opande :
Je suis arrivé au Libéria en provenance de Sierra Leone le 1er octobre 2003. Une mission onusienne de maintien de la paix avait alors été mise sur pied en Sierra Leone, où la situation était revenue à la normale. Au contraire, au Libéria, rien ne fonctionnait :
il n’y avait plus de gouvernement, aucun dispositif de sécurité efficace, le pays tout entier était sur le point de s’effondrer. Les gens se déplaçaient d’un endroit à l’autre à la recherche de sécurité et de nourriture. La situation était très difficile.

Compte tenu de votre description de la situation au Libéria, croyiez-vous à la réussite de la mission ?

C’est une question que beaucoup de gens, surtout les journalistes, me posent. J’étais déterminé à faire des conditions de sécurité ma priorité. Après quoi, les dirigeants politiques s’occuperaient des questions de politique, d’économie et de gouvernance.

Comment avez-vous amené les nombreux « généraux » des factions belligérantes à accepter la paix ?

J’ai fait ce que nous avions fait en Sierra Leone : atteindre les différentes factions et cibler leur dirigeant. Au lieu de m’asseoir à Monrovia [la capitale] et espérer qu’ils viennent discuter, je suis allé à leur rencontre dans leurs forteresses, à Ganta, Gbarnga, Buchananan, etc. Je me suis assuré qu’ils comprenaient ce que j’attendais d’eux pour rétablir la paix et la sécurité.

Il existe une vidéo de vous dans une ville (pas Monrovia) où vous êtes cerné par des rebelles armés et leur parlez durement. Vous n’avez pas eu peur ?

C’était probablement lorsque je suis allé superviser l’ouverture forcée de la route barricadée par les rebelles entre Monrovia et Buchananan [dans le sud du Libéria]. Il est difficile de traiter avec les rebelles ; ils sont très imprévisibles. Ils tuent des civils et commettent des atrocités. Ils peuvent parfois retourner leurs armes contre les soldats de la paix. Une semaine avant cet incident, j’avais demandé au commandant rebelle d’ouvrir la route, en vain. J’ai donc décidé d’y aller moi-même pour envoyer un message fort. Parfois, le commandant doit donner l’exemple, et c’est le message que j’ai adressé aux rebelles.

Compte tenu de l’insécurité à ce moment-là — des milliers de personnes tuées pendant la guerre — ne preniez-vous pas des risques inutiles ?

Non, j’avais une mission à accomplir. Il était de mon devoir de remplir le mandat donné par le Conseil de sécurité de l’ONU à la MINUL. Nous avons dû engager les rebelles et les combattants de toutes les parties pour établir la paix et la sécurité au Libéria.

Pensez-vous que la forte présence des troupes de l’ONU a poussé les rebelles au désarmement ?

En atterrissant au Libéria, je m’attendais à diriger l’une des plus grandes missions onusiennes de maintien de la paix jamais déployées. J’espérais donc que l’énorme main-d’œuvre et l’équipement fournis nous permettraient de relever tous les défis en matière de sécurité. J’étais persuadé que nous avions la volonté de faire face à toute situation, y compris le désarmement à l’échelle du pays. En l’espace de six mois, j’ai reçu un nombre suffisant de soldats bien entraînés et motivés pour les tâches à venir.

Quel a été votre défi le plus difficile au cours de cette mission ?

C’est en atterrissant à Monrovia. La ville était assiégée, cernée par les rebelles et d’anciens membres des forces gouvernementales qui étaient en furie, tuant, violant, pillant et déterminés à causer le chaos pour que notre mission échoue. En raison du manque de soldats à ce moment-là, j’ai déployé le petit nombre dont je disposais pour protéger les zones clés de Monrovia et empêcher sa destruction.

La première tentative de désarmement, en décembre 2003 a échoué. Pourquoi ?

J’avais élaboré un plan de déploiement des contingents dans des endroits clés du pays avant toute tentative de désarmement. Selon moi, et d’après mon expérience ailleurs, nous devions éviter de nous précipiter sans un plan approprié. Si nous n’avions pas suffisamment de soldats pour surveiller le processus, le désarmement échouerait, car les rebelles se déplaceraient simplement d’un endroit à l’autre pour contourner le processus. Parfois, les dirigeants militaires et civils d’une mission ont des approches différentes concernant la gestion de telles situations.

L’une des principales leçons de cette expérience est-elle que les dirigeants politiques et militaires des missions de maintien de la paix doivent travailler ensemble ?

En effet. Un leadership unique ne peut pas toujours mener à la réussite d’une mission.

Comment était-ce de diriger une force multinationale composée de soldats ayant un entraînement dissemblable, habituées à des équipements différents et avec des niveaux de motivation variables ?

Il n’est pas facile de diriger des soldats qui ne parlent pas la même langue, qui utilisent des équipements différents et qui ont une éthique et une structure de commandement différentes. Mais sur le plan du leadership, l’éthique exige que tout le monde soit impliqué et apprécié. J’ai toujours insisté sur la création d’un commandement cohérent au sein de la MINUL. Nous avons tous compris notre rôle et nos attentes.

La MINUL, qui a terminé son travail le 30 mars 2018, est l’une des réussites de l’ONU. Quel a été le rôle des Libériennes dans le processus de paix ?

S’il y a un groupe au Libéria que je peux féliciter pour avoir travaillé sans relâche pour ramener la paix dans le pays, ce sont les femmes. Je me souviens avoir vu chaque jour des milliers de femmes assises dans un champ près de l’aéroport de Spriggs Payne, priant et discutant pour une paix durable. Elles ont affronté le président de l’époque Charles Taylor pour le convaincre de donner une chance à la paix ; elles ont fait tout le chemin jusqu’au Ghana pour affronter les dirigeants des factions belligérantes, les exhortant à signer un accord de cessez-le-feu. Si les hommes du Libéria ont également joué un rôle, les femmes ont été persévérantes et en ligne de front.

Le Libéria a récemment tenu des élections présidentielles suivies d’une transition pacifique. Pourquoi la paix a-t-elle perduré dans le pays ?

Je dois féliciter les Libériens. Lors des élections de 2005-2006, ils ont élu des dirigeants axés sur l’amélioration de l’économie, de la sécurité et de la bonne gouvernance, qui ont ensuite jeté les bases du développement et de la stabilité.

Quelles leçons d’autres pays en conflit, comme le Sud-Soudan, peuvent-ils tirer du Libéria ?

Il est difficile de comparer les pays en conflit. Le Libéria, après avoir traversé un long et amer conflit civil, a prouvé qu’un pays peut surmonter le pire des conflits. Le Sud-Soudan et d’autres pays peuvent tirer des leçons du conflit libérien pour mettre fin à leurs souffrances.

De nombreuses familles au Libéria auraient donné votre nom à leurs enfants parce qu’elles ont apprécié votre service là-bas. Quel message avez-vous pour le peuple libérien ?

Je suis humble et je tiens à remercier ceux dont les enfants portent mon nom. Je ne veux pas dire que j’ai joué un rôle clé : nous tous à la MINUL avons joué un rôle dans la remise sur pied du Libéria. Je voudrais lancer un appel au peuple libérien : ne regardez pas en arrière, ne retombez pas dans le chaos. S’il y a encore des problèmes politiques ou économiques, le gouvernement et le peuple doivent s’y attaquer avec détermination. Vous devez assurer aux enfants libériens un pays stable et un avenir meilleur.

En tant que l’un des premiers soldats de la paix de l’ONU sur le terrain, que pensez-vous du succès de la MINUL au moment où elle se termine ?

Je me sens exalté et conforté dans mon idée que la MINUL surmonterait les difficultés auxquelles elle a été confrontée au cours de son mandat. Je suis également heureux que le peuple libérien ait fait d’énormes progrès dans la guérison du pays. Je crois que les soldats de la paix ont joué un rôle important en aidant les Libériens à consolider les progrès réalisés au cours des deux dernières
décennies.    

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