Le double défi du handicap

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Le double défi du handicap

Les préjugés entravent l’accès au marché de l’emploi
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Afrique Renouveau: 
Jonathan Bigirima (left), married and father of six, in his joinery. Photo: Panos/D. Telemans
Photo: Panos/D. Telemans
Jonathan Bigirima (gauche) dans sa menuiserie. Photo: Panos/D. Telemans

Acinq ans, le Zambien Kenneth Habaalu a été paralysé par la poliomyélite, une maladie virale qui attaque le système nerveux. La paralysie de M. Habaalu aurait pu anéantir tout espoir de faire des études et de trouver un emploi. Mais grâce à son frère qui a payé ses frais de scolarité, il a obtenu un diplôme de gestion.

« Le principal défi en Afrique est la stigmatisation. Au lieu d’évaluer vos compétences, les [employeurs] se focalisent sur votre handicap », explique M. Habaalu, 54 ans, qui plaide pour un soutien du gouvernement aux organisations de personnes handicapées (OPH), « car ces organisations emploient davantage de personnes handicapées, en forment beaucoup d’autres et améliorent leur existence ».

M. Habaalu est responsable d’APTERS (Appropriate Paper Technology), une organisation basée à Lusaka qui produit des aides à la mobilité en papier et en carton recyclés pour les enfants en situation de handicap, grâce aux dons qu’elle reçoit.  APTERS emploie actuellement huit personnes en situation de handicap.

En Afrique pourtant, le nombre de personnes handicapées qui ont accès à une éducation ou créent des entreprises comme M. Habaalu reste faible.

Selon les Nations Unies, plus de 80 millions d’Africains vivent avec un handicap, problèmes et santé mentale et malformations congénitales inclus. Dans les grandes capitales comme Accra, Lagos et Lusaka, des centaines de personnes handicapées mendient sur le bord des routes. L’ONU met en garde contre le fait que des facteurs tels que le vieillissement de la population, la malnutrition, les conflits et la maladie augmentent encore le nombre de personnes handicapées dans un avenir proche. Beaucoup d’Africains ne parviennent pas à se procurer des appareils coûteux tels que des fauteuils roulants, des béquilles ou des prothèses auditives. Le manque d’éducation ou de compétences professionnelles nuisent également à l’employabilité des personnes handicapées.

« La plupart des  employeurs ne laissent pas l’opportunité aux personnes en situation de handicap de se présenter face à eux et continuent de penser que ce sont des gens difficiles à embaucher », explique Susan Scott-Parker, PDG de Business Disability International, une entreprise sociale à but non lucratif basée à Londres, qui œuvre pour améliorer les perspectives d’embauche des personnes handicapées.

Mme Scott Parker appelle les ONG à former les personnes handicapées pour rendre leur profil plus attractif auprès des employeurs. Si elles ne reçoivent pas le soutien dont elles ont besoin pour être indépendantes, le coût pour les gouvernements et la société n’en sera que plus important.

« Il y a trop de personnes handicapées qui se voient proposer des formations et des compétences qui n’intéressent pas les employeurs. Pourquoi apprendre à travailler le bois, si on ne recherche pas de menuisiers ?  Pourquoi ne pas contacter les Cisco Networking Academies locales pour s’assurer que les personnes handicapées obtiennent l’accréditation Cisco, qui, nous le savons, sont recherchées par les entreprises ? », s’interroge Mme Scott-Parker.

Malheureusement, selon Mme Scott-Parker, les employeurs sont trop nombreux à sous-estimer les capacités des personnes handicapées. Elles souffrent, dit-elle, de la « douce bigoterie des faibles attentes », qui n’est autre qu’une forme subtile de préjugés de la part des employeurs.

Certains gouvernements africains et défenseurs des personnes handicapées ont cherché des moyens de favoriser l’intégration des personnes handicapées dans la population active.

En 2003, le Kenya a adopté une loi sur les personnes handicapées, qui oblige les organisations publiques et privées à s’assurer que les personnes handicapées occupent au moins 5% de leurs postes vacants.

Selon l’Organisation internationale du travail, le Kenya compte environ 3 millions de personnes handicapées. Les employeurs ignorent souvent la loi, déplore Frederick Ouko, âgé de 36 ans, lui-même en fauteuil roulant.

Le Parlement sud-africain a adopté en 1998 une Loi sur l’équité dans l’emploi, qui oblige les organisations à veiller à ce que les personnes handicapées constituent au moins 2% de leurs effectifs.

Parmi les incitations proposées aux entreprises sud-africaines figurent des réductions d’impôts pouvant atteindre 100 000 rands (7 000 dollars américains) pour chaque personne handicapée bénéficiant d’une formation. Des ONG locales et internationales, notamment Light for the World, une organisation internationale de défense des personnes handicapées basée en Autriche, offrent des subventions et des formations aux employés et aux demandeurs d’emploi handicapés.

Pourtant, le marché du travail en Afrique du Sud n’absorbe encore qu’une faible proportion – moins de 1% – de ses travailleurs handicapés. Deux raisons sont énoncées : la stigmatisation des personnes handicapées au travail d’une part, qui décourage beaucoup de personnes en recherche d’emploi ; et d’autre part l’absence de sanctions financières pour les entreprises n’atteignant pas l’objectif de 2%, ce qui donne aux employeurs les coudées franches pour ignorer la loi.

« Environ cinq millions de Sud-Africains vivent avec un handicap. Cet aspect [le fait de ne pas atteindre l’objectif des 2%] montre bien l’ampleur du problème pour ces personnes », déclare Shereen Elmie, qui siège au conseil d’administration d’Employment Solutions for People with Disabilities, une organisation sud-africaine à but non lucratif qui aide les personnes handicapées à trouver un emploi.

Dans une étude de 2015 intitulée « Handicap, genre et relations de travail en Afrique : le cas du Ghana », publiée dans l’African Journal of Disability, la chercheuse Augustina Naami révèle que la plupart des « personnes handicapées sont au chômage, et la majorité sont des femmes ». Parmi les principaux obstacles, l’auteur cite la discrimination et les perceptions négatives.

Pour contrer ces obstacles, l’étude recommande des interventions pédagogiques, telles que des ateliers qui promeuvent des exemples de réussite, et le financement par le gouvernement de l’éducation des personnes handicapées.

Pour Mme Scott-Parker, les entreprises devraient recruter des profils divers, avec comme critère de sélection le mérite, et traiter les personnes handicapées de la même manière que les autres employés. Cette politique permettrait de tirer le meilleur de chaque individu.vivent avec un handicap

Etant donné qu’en Afrique, les gouvernements figurent parmi les plus gros employeurs, le secteur public doit montrer l’exemple pour « avoir un impact déterminant sur les perspectives d’emploi des personnes handicapées », explique-t-elle.

« Les entreprises découvriront que les personnes handicapées sont des employés dévoués, assidus et fidèles à leur travail, pour lequel ils donnent le meilleur d’eux-mêmes », explique Tom Shakespeare, professeur et chercheur sur le handicap à l’université d’East Anglia au Royaume-Uni.

« D’un point de vue économique, le recrutement de personnes handicapées qualifiées est un choix judicieux »..