À propos de la responsabilité de protéger

La responsabilité de protéger donne corps à l’engagement politique de mettre fin aux pires formes de violence et de persécution. Elle vise à réduire le décalage existant entre les obligations préexistantes des États Membres en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme et la réalité vécue par les populations exposées au risque de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité.

Contexte

Après les atrocités commises dans les années 1990 dans les Balkans et au Rwanda, que la communauté internationale n’a pas réussi à empêcher, et l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo, qui a été critiquée par beaucoup comme une violation de l’interdiction de l’emploi de la force, la communauté internationale a entrepris un débat sérieux sur la réponse à apporter aux violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme. En septembre 1999, lors de la présentation de son rapport annuel à l’Assemblée générale des Nations Unies, Kofi Annan a réfléchi aux « perspectives de la sécurité des populations et de l’intervention au siècle prochain » et mis les États Membres au défi de « s’entendre sur la défense des principes de la Charte et sur des mesures de défense de l’humanité que nous avons en partage ». Il les a de nouveau interpellés dans son rapport du millénaire, en ces termes : « si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains ? »

Le défi a été relevé par la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE), créée par le Gouvernement canadien, qui a publié fin 2001 un rapport intitulé « La responsabilité de protéger ». La notion de responsabilité de protéger s’inspire de l’idée de Francis Deng de « la souveraineté de l’État en tant que responsabilité » et affirme que la souveraineté n’est pas seulement une protection contre l’ingérence extérieure – il s’agit plutôt pour les États d’avoir des responsabilités actives en ce qui concerne le bien-être de leur population, et de s’entraider. Par conséquent, il incombe principalement et avant tout à l’État lui-même de protéger sa population. Toutefois, une « responsabilité résiduelle » incombe également à la communauté des États dans son ensemble, qui est « activée lorsque tel ou tel État est manifestement soit incapable, soit peu désireux d’accomplir sa responsabilité de protéger, ou est lui-même l’auteur effectif des crimes ou atrocités en question ».

Le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, dans son rapport intitulé « Un monde plus sûr : notre affaire à tous » (A/59/565) et le Secrétaire général, dans son rapport de 2005 intitulé « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous » (A/59/2005) ont par la suite repris à leur compte le principe selon lequel la souveraineté d’un État s’accompagne pour cet l’État de l’obligation de protéger sa population, et que si l’État ne veut pas ou ne peut pas le faire, il revient alors à la communauté internationale d’utiliser des moyens diplomatiques, humanitaires ou autres pour la protéger. Ni l’un ni l’autre rapport n’établit de critère légitimant de recourir, à cette fin, à la force autre que l’autorisation, en dernier recours, du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte, en cas de génocide et d’autres crimes internationaux graves.

À la réunion de haut niveau du Sommet mondial de 2005, les États Membres se sont finalement engagés en faveur du principe de la responsabilité de protéger en l’incluant dans le Document final du Sommet (A/RES/60/1). Bien que le principe adopté ne reprenne pas certains des aspects initialement proposés par la CIISE, les éléments fondamentaux en matière de prévention et de réponse aux violations les plus graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire sont bel et bien préservés.

Adoption du principe

Photo de groupe du Sommet mondial de 2005. Photo ONU/ Eskinder Debebe

Aux paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 (A/RES/60/1), les chefs d’État et de gouvernement ont affirmé leur responsabilité de protéger leurs propres populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et ont accepté la responsabilité collective de s’encourager et de s’aider mutuellement à respecter cet engagement. Ils se sont également déclarés prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, conformément à la Charte des Nations Unies et en coopération avec les organisations régionales concernées, lorsque les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations.

Document final du Sommet mondial de 2005
Paragraphes relatifs à la responsabilité de protéger

138. C’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Cette responsabilité consiste notamment dans la prévention de ces crimes, y compris l’incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés. Nous l’acceptons et agirons de manière à nous y conformer. La communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à s’acquitter de cette responsabilité et aider l’Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d’alerte rapide.

139. Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte, afin d’aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. Nous soulignons que l’Assemblée générale doit poursuivre l’examen de la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et des conséquences qu’elle emporte, en ayant à l’esprit les principes de la Charte et du droit international. Nous entendons aussi nous engager, selon qu’il conviendra, à aider les États à se doter des moyens de protéger leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et à apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu’une crise ou qu’un conflit n’éclate.

140. Nous appuyons pleinement la mission du Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide.

Le Document final du Sommet est une résolution de l’Assemblée générale adoptée au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Aussi les paragraphes 138 et 139 représentent-ils un nouvel engagement politique important de la part des États Membres. Cependant, la responsabilité de protéger telle qu’elle y est décrite repose sur un ensemble d’obligations juridiques internationales des États énoncées dans des instruments internationaux ou auxquelles la pratique des États et la jurisprudence des juridictions internationales ont donné naissance. Ces obligations internationales en vigueur exigent des États qu’ils s’abstiennent de prendre part au crime de génocide, aux crimes de guerre, au nettoyage ethnique et aux crimes contre l’humanité et qu’ils prennent un certain nombre de mesures pour prévenir et punir ces crimes. L’adoption des paragraphes 138 et 139 par consensus à un niveau politique aussi élevé donne une nouvelle impulsion au développement de ces obligations.

En fin de compte, le principe de la responsabilité de protéger renforce la souveraineté en aidant les États à assumer les responsabilités dont ils étaient déjà investis. Le principe ouvre de nouvelles perspectives programmatiques pour le système des Nations Unies, qui, plutôt que d’attendre simplement d’intervenir en cas de défaillance des États, peut les aider à prévenir les crimes et violations concernés et à protéger les populations touchées par le renforcement des capacités, l’alerte rapide et d’autres mesures de prévention et de protection.

Depuis l’adoption de la responsabilité de protéger en 2005, le Secrétaire général de l’ONU a pris une série de mesures pour expliciter le principe et orienter sa mise en application. Les États Membres ont également régulièrement examiné la mise en œuvre du principe lors de réunions officielles et informelles et le principe a été à plusieurs reprises mentionné et réaffirmé dans des résolutions d’organes de l’ONU. D’autres acteurs en ont défendu et soutenu la mise en pratique.